TROISIÈME PARTIE

Les Candidats à l'Appel divin

 

troisieme partie

Les candidats à l'appel divin

PROLOGUE

 

417.— Le candidat au sacerdoce, au Grand Séminaire. Les candidats qui demandent l'appel divin —" vocatio " — aux ministres légitimes de l'Eglise, ce sont les séminaristes et plus particulièrement les élèves des Grands Séminaires.

Ceux-ci sont à même de mieux connaître le sacerdoce ; et, quand ils ambitionnent de devenir prêtre, il savent plus clairement où vont leurs désirs.

L'enfant qui, le jour de sa première communion ou même plus tôt, déclare qu'il veut être prêtre, ne sait guère, le plus souvent, ce qu'il dit... Au Petit Séminaire, les désirs du jeune élève vont se précisant graduellement ; mais, c'est au Grand Séminaire que l'avenir sacerdotal apparaît, enfin, sous son vrai jour, aux yeux de l'aspirant à la plus haute des fonctions terrestres. C'est au Grand Séminaire que le clerc pose, avec une conscience plus nette, sa candidature au sacerdoce ; il la pose continuellement, par le seul fait qu'il entre et demeure dans la maison qui forme les prêtres et d'ou l'on ne sort, d'ordinaire, qu'avec la couronne sacerdotale au front.

418. — Conditions que le candidat doit fournir. Par là même, il s'engage formellement à fournir les conditions de capacité, d'aptitudes, d'idonéité, de vocabilité, qu'une telle candidature, pour être légitime, suppose et réclame impérieusement.

Ces dispositions sont également celles que les Souverains Pontifes, les Evêques, et, par conséquent, les Directeurs de Séminaire, doivent exiger et exigent de ceux qu'ils appellent aux Ordres, celles qu'ils doivent préalablement constater dans chaque candidat, avant de pouvoir légitimement l'appeler au nom de Dieu.

De sorte que la question présente peut être envisagée sous deux points de vue différents, qui se ramènent à un seul :

Conditions d'idonéité, que les candidats au sacerdoce doivent fournir pour demander légitimement l'appel, ou pour avoir le droit d'accepter l'appel à eux proposé par les ministres légitimes de l'Eglise.

Conditions d'idonéité, que les appelants doivent préalablement constater dans les candidats, pour avoir le droit de leur déférer l'appel divin au sacerdoce.

Les conditions que les candidats ont l'obligation de présenter, sont exactement celles-là mêmes que les appelants ont le devoir d'exiger. Or ces conditions d'idonéité, que nous pouvons nommer, si l'on y tient, signes de vocation au sens de vocation dispositive ou de vocabilité, se ramènent à trois :

L'INTENTION DROITE.

LA SCIENCE SUFFISANTE

UNE SAINTETÉ CONVENABLE

Nous avons longuement démontré, dans la première partie, la légitimité de cette énumération.

Le moment est venu de reprendre chacune de ces conditions, pour les expliquer avec quelque développement.

419. — Utilité d'examiner en détail chacune des trois conditions. Les considérations qui sui- vent serviront, à la fois, aux élèves des Séminaires et à leurs directeurs.

A l'élève, elles préciseront ce qu'on demande de lui au Séminaire. Sachant à quoi s'en tenir, il vivra en paix en se disant : si je réalise ce programme, je suis sûr d'être appelé; je n'ai à craindre aucune surprise ; la voie est droite, claire, unie, et j'ai toutes sortes de secours pour la parcourir jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'au sacerdoce.

Au Directeur de Séminaire, elles montreront ce qu'il doit s'appliquer à découvrir, à susciter, à développer, chez les aspirants aux Saints Ordres, afin d'avoir le droit de donner à leur candidature le suffrage de son vote.

Et pourquoi n'ajouterions-nous pas que ces mêmes considérations seront très utiles aux prêtres de tout âge ? Car Bossuet l'a très bien dit : " La préparation au sacerdoce n'est pas, comme plusieurs pensent, une application de quelques jours, mais une étude de toute la vie (1)."

420. — Minimum à exiger, maximum à promouvoir. Pour chacune de ces conditions, nous tâcherons de déterminer — autant qu'il est possible en matière si délicate — tout d'abord, le minimum qui est exigé en toute rigueur ; ensuite, le maximum qu'il faut poursuivre avec tout le zèle possible.

Le minimum de chaque qualité peut être appelé signe négatif de vocation en puissance (2). Son absence doit faire exclure celui qui en est dépourvu. Ce qui est au-dessus du minimum, c'est-à-dire tout acheminement vers le maximum, sera signe positif.

Sans le minimum, le candidat ne pourra être appelé.

Avec le minimum, il pourra être appelé.

Les surcroîts le rendront de plus en plus appelable. Cela dit une fois pour toutes, commençons.

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(1) BOSSUET. Or. fun. du P. de Bourgoing.

(2) Il est à peine utile de rappeler, encore une fois, que, pour nous, les signes de vocation ne sont nullement des signes d'appel divin ; mais, ce qui est tout différent, de simples marques d'idonéité. Ils ne donnent pas le droit de conclure : cet homme est appelé de Dieu au sacerdoce ; mais simplement : cet homme a de réelles dispositions pour le sacerdoce ; il est donc susceptible d'être appelé par ceux qui appellent au nom de Dieu.

 

 

CHAPITRE I

L'intention droite

Si quis episcopatum desiderat, bonum opus desiderat. (I Tim. III, I).

 

421. — L'intention droite d'après saint Paul. L'intention droite est indiquée par saint Paul comme la condition première : Si quis episcopatum desiderat... Si quelqu'un désire le sacerdoce (1), son désir est bon. Après M, les théologiens ont parlé de même. Nous allons dire :

1° Ce que doit être cette intention,

2° En quoi consiste sa droiture.

 

 

ARTICLE I

L'INVEENTION DOIT ÊTRE PERSONNELLE

ET FORMÉE EN TEMPS VOULU.

 

122. — L'intention doit être personnelle. L'intention qui anime l'aspirant au sacerdoce doit,

comme toute intention proprement dite, être personnelle.

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(1) I Tim iii, i. C'est à tort que l'on traduirait : si quelqu'un désire l'épiscopat. On sait que, sous là plume de saint Paul et des premiers écrivains ecclésiastiques, le mot " episcopus " désigne indifféremment l'évêque ou le simple prêtre, parfais même le diacre. C'est donc le désir du sacerdoce en général, que l'Apôtre indique comme parfaitement légitime et même louable. Et, chose digne de remarque, ce désir il l'autorise chez tous sans exception " si quis... " à seule condition que l'on soit doué des aptitudes nécessaires dont l'énoncé fait suite.

 

C'est de son propre mouvement que le candidat se portera vers le sacerdoce. Que ceux qui ont autorité OH influence sur lui l'invitent, l'exhortent, doucement et avec de hautes idées, à se faire prêtre : rien de plus légitime, pourvu qu'on respecte sa liberté intime et que la détermination dernière demeure en son pouvoir, en sa spontanéité.

Mais, qu'il soit poussé et comme traîné de force à l'autel par une volonté étrangère, quelle qu'elle soit, fût-ce celle de sa mère ou de son directeur, c'est une contrainte morale injuste, qu'on ne saurait tolérer.

Il faut qu'il puisse dire de sa pleine initiative : " Je veux être prêtre, je désire être prêtre ; cette volonté, ce désir sont réellement en moi et sortent du fond de ma personnalité ; ils ont pu m'être suggérés du dehors, ils ne me sont pas imposés ; ils n'ont peut-être pas germé en moi d'un jet facile ; ils ont même été précédés de longues périodes d'hésitations, de doutes et même de répugnances. Maintenant, tous ces nuages ont disparu, pour faire place à un désir vrai, à une volonté ferme. Oui, je le déclare en toute sincérité : je veux être prêtre (1)."

423. — Cas exceptionnel d'un ordinand indécis. Est-il nécessaire cependant que cette intention, ce désir, revête ce caractère absolument personnel que nous venons de décrire ? Voici un séminariste à la veille de recevoir les ordres sacrés. Il ne sent pas en lui le moindre désir du sacerdoce et, d'autre part, aucune carrière profane ne l'attire. C'est un état d'indifférence absolue. Pressé par la nécessité d'une décision à prendre, il s'en va trouver son confesseur et lui dit : " Je n'ai pas de volonté au sujet du sacerdoce ; substituez la vôtre à la mienne ; je ferai selon ce que vous me direz, et je désire sincèrement suivre vos indications. "

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(1) Cf. supra N° 43 et suiv., 385, 386.

 

424. — Conduite à tenir : double hypothèse. Que fera le directeur de conscience? S'il est prudent, il ne se hâtera pas de trancher le cas, ni surtout de le trancher tout seul ; il invitera le séminariste hésitant à soumettre son état d'âme aux appelants officiels, A eux de décider s'ils peuvent appeler au nom de Dieu celui qui, sans désir personnel du sacerdoce, est prêt à accepter et à adopter, comme sienne, une volonté qui s'imposera à lui. Ils n'hésiteront pas à le faire si le candidat présente de par ailleurs toutes les aptitudes désirables. Nous ne craignons même pas d'affirmer que, si les hésitations du candidat procèdent de l'humilité, et si son acte d'abandon à la décision des directeurs n'est autre chose, en définitive, qu'un acte d'abandon à la volonté de Dieu, son intention est des plus élevées et des plus surnaturelles qui se puissent concevoir. Que si, au contraire, ses perplexités procèdent d'un manque évident de caractère, d'un état habituel d'indécision en toutes choses, c'est l'idonéité elle-même qui est en jeu ; une des aptitudes requises fait défaut. Les esprits irrésolus ne sont pas faits pour le sacerdoce, qui exige, nous le dirons plus loin, une réelle fermeté de caractère.

A part le cas pratiquement rare et exceptionnel que nous venons d'agiter, il est nécessaire que le candidat ait une intention bien personnelle, un désir bien intime d'être prêtre.

*

* *

425. — L'intention doit être formée en temps voulu. A quel moment l'intention personnelle doit-elle être formée ? Il est de toute rigueur que ce soit avant la réception des Ordres sacrés et, plus particulièrement, avant le sous-diaconat qui entraîne des engagements perpétuels. On pourrait sans doute distinguer entre le désir de la chasteté perpétuelle et celui des fonctions sacerdotales, et l'on ne serait pas embarrassé d'apporter, à l'appui de la distinction, l'exemple de tel ou tel sous-diacre, qui, dûment et volontairement ordonné, n'a jamais consenti à gravir les degrés de l'autel. Ce sont là, encore, des cas tout à fait exceptionnels, dont il n'y a guère à tenir compte en pratique courante. L'intention d'être prêtre doit se trouver chez celui qui demande le sous-diaconat ; car c'est bien à l'occasion du sous-diaconat que le candidat, le directeur de conscience et les directeurs de Séminaire décident implicitement de l'appel au sacerdoce.

426. — Un cas pratique. Mais, ainsi que nous l'avons déjà expliqué ailleurs (1), il n'est nullement nécessaire que cette intention arrêtée existe dans l'âme dès l'enfance, ni dès le Petit Séminaire, ni même dès l'entrée au Grand Séminaire. Curés de paroisse, parents, bienfaiteurs, etc., ont donc le droit de diriger vers le sacerdoce un enfant doué de réelles aptitudes, mais qui ne désire pas encore être prêtre. Ils ont le droit d'attendre que cet enfant, devenu jeune homme et mieux éclairé, porte sur la carrière qu'on lui propose une décision bien consciente et qui vienne tout à fait de lui. Si, plus tard, dans la plénitude de sa raison, il décide qu'il ne sera pas prêtre, on n'insistera plus ; et ceux-là même qui avaient le plus grand désir de le voir parvenir au sacerdoce, devront se montrer les plus empressés à lui faciliter l'accès d'une autre carrière, plus conforme, sinon à ses aptitudes, du moins à ses goûts.

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(1) 2a partie ; chapitre iii, art, 2 et 3.

 

 

ARTICLE II

L'INTENTION DOIT ÊTRE DROITE.

 

427. — En quoi consiste la droiture dé l'intention. Cette intention d'être prêtre, intention personnelle, intention formée en temps voulu, doit être droite ; intentio recta.

Ce qualificatif, d'apparence si simple, renferme des éléments nombreux.

L'intention droite, comme le mot l'indique, est celle qui vise directement et immédiatement le Sacerdoce, qui le vise en lui-même, qui le vise au cœur, et non en ses accessoires, en ses côtés secondaires.

1° Elle exclut les motifs blâmables ou inférieurs.

2° Elle se fixe sur le Sacerdoce proprement dit, c'est son minimum.

3° Elle s'élève graduellement aux motifs les plus dignes, les plus nobles (maximum).

 

§ I

Motifs à exclure de l'intention droite.

 

428. — Ne pas désirer le sacerdoce pour ses avantages naturels. Celui-là ne désire pas - droitemetit le Sacerdoce, qui, se laisse attirer par les avantages matériels dont il croit le voir accompagné : situation honorable, pain assuré, vie tranquille et relativement commode. Ils ne sont peut-être pas rares les enfants, qui commencent leurs études sacerdotales avec des visées de ce genre, chez qui le désir du sacerdoce se résout pratiquement en celui d'un état humainement enviable. A mesure qu'ils avancent en âge, ils ont le devoir d'épurer cet idéal grossier. Travail nécessaire ! L'élève du Grand Séminaire, en qui survivraient de pareils motifs de vocation, sera écarté, s'il ne comprend pas qu'il doit s'en aller- de lui-même.

Cette méprise au sujet du sacerdoce, si elle est à craindre encore en certains pays, devient de plus en plus chimérique en France. Et c'est de quoi il ne faut pas se plaindre. Le sacerdoce, recherché pour les richesses, la considération et les satisfactions qu'il procure, l'histoire nous a dit de quels empressements malsains il a été l'objet.

Parlant de ces temps trop fortunés, Bourdaloue s'écriait avec douleur : " Le sacerdoce aujourd'hui se trouve comme abandonné à toutes les convoitises des hommes (1)."

Il faut se féliciter que cette cause de vocations frelatées et de mauvais aloi, ait disparu de chez nous.

429. — Ne pas désirer le sacerdoce comme un pis aller. Ne désire pas droitement le sacerdoce, celui qui le regarde comme un pis aller. Non qu'il ne s'en fasse une haute idée; mais, cette haute idée ne lui dit rien pour lui-même ; elle n'excite en son âme aucun désir ferme.

Pourquoi donc veut-il être prêtre ? Par résignation, parce qu'il ne voit aucun moyen facile de disposer autrement sa vie.

S'il trouvait devant lui quelque issue honorable, il s'y engagerait aussitôt. N'en apercevant pas, il demandera le Sacerdoce. Cet état d'âme peut se rencontrer même chez des jeunes gens de vingt, vingt-deux ans, à la veille des Ordres sacrés. Comment sont-ils arrivés jusque-là ? Parce que, par crainte de contrister une mère, un oncle-prêtre un bienfaiteur redouté, etc. ils n'ont pas eu le courage de dévoiler plus tôt leur état d'âme.

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(1) Exhort. sur la dignité et le devoir des prêtres. T. I, p. 357.

 

Maintenant, se voyant si avancés, ils ne se sentent pas la force de revenir en arrière ; pour eux, revenir en arrière c'est se lancer dans un avenir plein d'incertitudes et de menaces...

Celui qui se trouve en pareil cas doit prier Dieu pour obtenir une volonté plus arrêtée ,et moins conditionnelle. S'il ne peut s'élever jusque-là, qu'il prenne son courage à deux mains et s'en aille. Il serait déclassé dans le sanctuaire plus que partout ailleurs.

Ceux qui l'ont poussé dans cette impasse devraient être les plus ardents à l'en dégager, en lui facilitant l'accès d'une autre carrière.

430. — Ne pas désirer le sacerdoce surtout comme moyen de salut plus facile. — Ne désire pas non plus droitement le sacerdoce celui qui le considérerait surtout comme un moyen plus assuré de faire son salut. Nous voulons parler du motif prédominant. Que le salut soit plus facile dans l'état ecclésiastique et qu'on y trouve plus de garanties surnaturelles que dans l'état laïque, cela paraît incontestable, pourvu que l'on possède de par ailleurs les aptitudes suffisantes pour remplir les graves obligations que comporte le service de l'autel et des âmes.

Mais rechercher par-dessus tout, dans le sacerdoce, cet intérêt de salut personnel, serait, semble-t-il, n'avoir pas cette intention vraiment droite que demande la théologie, pas plus que n'aurait l'intention droite requise pour la communion quotidienne celui qui rechercherait le pain eucharistique surtout pour les jouissances sensibles qu'il espère goûter au banquet sacré. On n'est pas prêtre premièrement pour soi, on est prêtre pour Dieu et pour les âmes (1).

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(1) Cf. BRANCHEREAU : De la Vocation Sacerdotale, p. 200.

 

 

 

§ II

Vrai motif de l'intention, droite.

Son minimum.

 

431. — Vouloir le sacerdoce tel que Jésus-Christ l'a institué. Celui-là a l'intention droite qui veut le sacerdoce tel qu'il est, tel qu'il a été institué par Notre Seigneur Jésus-Christ.

Jésus-Christ a institué le Sacerdoce comme un principe de vie et d'action surnaturelle. " Je vous ai choisis, dit-il aux premiers prêtres, pour que vous alliez à travers le monde des âmes, pour que vous y portiez du fruit et que votre fruit dure. "

" Allez, leur a-t-il dit encore, enseignez toutes les nations, .les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. " " Qui vous reçoit, me reçoit : qui vous écoute, m'écoute ; qui vous méprise, me méprise. "

Admirable substitution, où l'on a toujours vu cette vérité sublime : le prêtre est un autre Christ ; il tient dans le monde la place du Christ, il exerce les fonctions mêmes du Christ !

432. — Le prêtre d'après saint Paul. Enfin, dans la grande épître sacerdotale, où saint Paul décrit les gloires de Jésus-Christ, nous rencontrons la définition exacte du prêtre.

" Omnis Pontifex ex hominibus assumpius, pro hominibus constituitur in iis quæ sunt ad Deum, ut offerat dona et sacrificia pro peccatis... nec quisquam sumit sibi honorem sed qui vocatur a Deo tanquam Aaron (1)."

Tout Pontife, pris d'entre les hommes, est établi pour les hommes en ce qui regarde le culte de Dieu, afin d'offrir des oblations et des sacrifices pour le péché.

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(1) Hébr. v, 1,4.

 

Là, noms trouvons l'origine du prêtre : il est pris parmi les hommes ; — sa vocation : elle vient de l'extérieur, car il est établi, constituitur, par ceux qui ont pouvoir à cet effet ; il ne se désigne pas de lui-même pour cet honneur ; — sa place dans l'échelle des êtres : tiré du milieu des hommes, il est élevé au-dessus d'eux, assumptus ; — sa mission essentielle : ainsi placé entre ciel et terre, il sert d'intermédiaire de l'un à l'autre ; il est auprès de Dieu le représentant officiel des hommes ses frères ; — son acte suprême : offrir à Dieu les offrandes de la terre, surtout des sacrifices pour les péchés ; après quoi il se penche vers les hommes pour leur communiquer les pardons et les grâces de Dieu.

Il est donc le trait d'union des créatures avec le Créateur, le pont de transit jeté entre ciel et terre, par où passe et s'opère cet admirable trafic commercial, que chante la liturgie : O admirabile commercium !

433. — Minimum de l'intention droite. Voilà le sacerdoce catholique, considéré dans ses éléments essentiels. Tel est le sacerdoce, qu'il faut vouloir ; tel est l'objet, que doit viser l'intention droite, requise chez les candidats qui briguent d'être prêtres.

Ils doivent désirer d'être prêtres, pour procurer la plus grande gloire de Dieu par le salut des âmes. Qui n'élève pas jusque-là les ambitions de son cœur, n'est pas dans les dispositions qui doivent être exigées en toute rigueur. Monter à ces sommets ou s'en aller, il n'y a pas de milieu.

 

 

§ III

L'intention droite allant vers son maximum.

 

434. — Ce que veut être le bon candidat au sacerdoce. Nous venons de préciser le minimum d'intention droite absolument requis.

Mais en partant de là, quels horizons vastes et splendides s'ouvrent devant le séminariste qui veut aviver de plus en plus ses aspirations sacerdotales.

Ne l'entendez-vous pas ce candidat de l'autel ? Ne percevez-vous pas le murmure de ses graves pensées et le bouillonnement des ardents désirs qui le pressent, dans ses méditations matinales, dans ses visites au Saint-Sacrement et tout le long du jour, mais plus fortement et plus suavement dans ses actions de grâces ?

Il dit :

435. — Prêtre de sacrifice. 1° Je veux être un prêtre de sacrifice (1). D'avance je me vois montant à l'autel de ma première messe, élevant dans mes mains tremblantes ma première hostie consacrée, portant à mes lèvres émues mon premier calice rempli de sang rédempteur. Avec quelle ferveur je célébrerai ce premier sacrifice !

Cette grande action, la plus auguste de la religion chrétienne, je la renouvellerai chaque jour ; et il faudra que chaque jour ma ferveur se renouvelle et s'accroisse, bien loin de diminuer et de s'attiédir.

La Sainte Messe sera le point culminant de ma future vie de prêtre ; c'est pour cela, en premier lieu, que je serai prêtre ; pour offrir le sacrifice eucharistique, avec Jésus, en Jésus et par Jésus, per ipsum, cum ipso et in ipso ; ce sacrifice, dans lequel le Souverain Prêtre, dont je serai le ministre, résume toutes les adorations, toutes les actions de grâces, tous les repentirs et toutes les prières de l'univers.

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(1) " Ce qui fait les prêtres mauvais ou médiocres, c'est d'être entrés dans le sacerdoce par une autre pensée que celle du sacrifice de soi au mystère de la rédemption, tout le reste se répare ou se perfectionne sauf ce péché originel. " Lacordaire cité dans ". Recrutement sacerdotal " 1906, p. 217

 

Mais ce sacrifice sera incomplet, tant que je n'y associerai pas le mien ; et mon action sacerdotale ne sera efficace, que dans la mesure où je mêlerai mon sang à celui de Jésus.

Saint Paul m'en avertit expressément, lui qui s'employait à parachever ce qui manque à la Passion du Christ ! lui qui a proclamé ce principe général que, si l'on veut travailler à enlever les péchés du monde, il y faut mettre le prix ; et ce prix , c'est du sang " sine sanguinis effusione non fit remissio (1) ". Si donc je veux, et je le veux, continuer sur la terre la mission du Christ, je dois être un rédempteur. Or, dans les desseins de Dieu, les âmes ne se rachètent que par le sacrifice et le sang. Jésus a versé tout le sang de ses veines dans les fondations de l'Eglise ; après lui, les Apôtres ont arrosé de leur sang cette plantation nouvelle " plantaverunt Ecclesiam sanguine suo ". Je commence à comprendre et je veux comprendre de plus en plus cette grande leçon.

Je veux donc être prêtre, non pas seulement pour offrir chaque jour Jésus en sacrifice, mais pour m'immoler moi-même chaque jour avec lui. Je dois être un autre Christ ; or, toute la vie du Christ fut un long martyre, une immolation prolongée.

Si je veux, et je le veux, être une image ressemblante du Christ, — et non sa caricature, — je dois me proposer pour but un sacerdoce souffrant, un sacerdoce immolé, un sacerdoce crucifié. Offrir chaque jour le sacrifice de Jésus et chaque jour

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(1) Hébr. ix, 22.

 

refuser de me sacrifier moi-même pour Dieu, pour les âmes, serait une anomalie choquante, dont j'ai horreur. Ah ! combien plutôt essayerai-je, avec la grâce de Dieu, de réaliser l'exemple de ce prêtre dont parle saint Augustin, : " Vita ejus cum sacrificio concordabat... seipsum propria immolatione mactabat. "

Oui, j'harmoniserai ma vie de chaque jour avec ma Messe matinale, et, de ma .propre mais, j'immolerai mon corps et mon âme, en même temps que le corps et l'âme de Jésus (1).

Cette perspective de sacrifice va-t-elle m'épouvanter ? Ne m'éloignera-t-elle pas du sacerdoce au lieu de m'y attirer ? Oh ! non ; je me rappellerai que la vie de Jésus fut une croix continuelle ; c'est de propos délibéré, à cœur joie, qui a porté son rude fardeau: proposito sibi gaudio sustinuit crucem (2). Je me représenterai les Apôtres, qui s'en allaient tout joyeux, parce qu'ils avaient été trouvés dignes de souffrir pour le nom de Jésus. Je me souviendrai de saint Paul qui sentait la joie surabonder en son âme parmi les tribulations. Je me redirai souvent la parole exquise dans laquelle le saint Curé d'Ars, ce vrai crucifié, nous a transmis le résultat d'une expérience très longue : " La croix sue le baume et transpire la douceur ! "

Comment cela se peut-il ? Comment la joie peut-elle naître de la souffrance, qui semble devoir lui servir de tombeau ? Inexplicable énigme ! mais réalité tout aussi indéniable. Les faits sont là ! Un mot cependant jette du jour sur ce mystère et ce mot c'est : amour.

Ubi amatur non laboratur, aut si laboratur labor amatur. J'aurai le courage de souffrir comme Jésus, si je sais souffrir en Jésus, pour Jésus, cœur à cœur avec Jésus et je saurai souffrir ainsi, si j'aime ardemment, tendrement, totalement Jésus.

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(1) "Pour tout dire en un mot, un prêtre: digne de ce nom, un " prêtre de l'institution et selon l'ordre de Jésus-Christ, toujours " prêt à être victime. " Bossuet, Or. Fun. Bourgoing.

(2) Hébr. xii, 2.

 

Celui qui n'a pas compris que le sacerdoce est une carrière de sacrifice, ne comprend pas encore le premier mot du sacerdoce ; mais celui qui n'a pas compris que le sacerdoce est. par-dessus tout une carrière d'amour, d'un grand, d'un immense amour, celui-là n'est pas encore arrivé au dernier mot: du sacerdoce ! C'est l'amour qui manie le glaive du sacrifice :

Amor sacerdos immolat (1).

Je demanderai à Jésus, pendant mon séminaire et durant toute ma vie de prêtre, de porter alternativement mon âme — mystique balancier — de l'un à l'autre de ces deux mots, de l'une à l'autre de ces deux réalités : sacrifice et amour " amour et sacrifice !

Je veux donc être prêtre pour aimer Jésus, pour souffrir avec Jésus ; et, chaque matin, le sacrice de la messe que j'offrirai rajeunira mes jeunes ardeurs d'amour et mes énergies de souffrance.

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* *

436. — Prêtre éclairé. 2° Je veux être un prêtre éclairé. — Jésus me dit que je dois être une lumière " vos estis lux mundi (2) ". Cette lumière j'en augmenterai de plus en plus la clarté et le rayonnement

Je veux être un prêtre versé dans la science vraiment et directement sacerdotale, dans les Saintes Lettres, dans la doctrine sacrée, la divine théologie. Et, si j'ai le soin de ne rester complètement étranger à aucune des connaissances qui peuvent m'être utiles, je ne me spécialiserai que sur celles qui me regardent par devoir d'état. Ambassadeur de Dieu, représentant de Jésus-Christ auprès des hommes, pour traiter la grande affaire, la seule importante, l'unique, qui est le salut des âmes, ou le rapprochement, l'union et comme la fusion des hommes avec Dieu, ut sint unum etc., je devrai connaître et pénétrer, toujours plus à fond, les secrets de cette mission sublime, étudier Dieu et les hommes, dans leur nature, leurs actes, leurs relations, surtout dans leurs relations surnaturelles, envisageant toutes choses, selon le mot de saint Thomas, sub ratione Dei, par leur côté divin, sous l'angle de Dieu.

Ce domaine n'est-il pas assez vaste, assez fertile, assez attrayant, pour mériter qu'on lui consacre les meilleures ressources de l'intelligence et les heures, toujours si courtes, d'une vie sacerdotale ?

Ah ! je n'écouterai pas ceux qui diraient : De la théologie on en sait toujours assez ! Non ! de la théologie on n'en sait jamais assez, ni pour soi, ni pour les autres, parce qu'on ne sait jamais assez combien Dieu est grand, bon, aimable, ni jamais assez quel est le prix des âmes, ni jamais assez les moyens d'amener sûrement son âme, et les âmes, à Dieu.

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(1) Hymne du temps Pascal : Ad regias agni dapes.

(2) MATH, v, 14.

 

437. — Prêtre pieux. 3° Je veux être un prêtre pieux, d'un piété aussi prompte que réglée et soutenue, considérant mes exercices religieux comme des exercices d'amour divin, scrupuleusement exact à les accomplir, tous, chaque jour. Je serai donc un prêtre d'oraison, fidèle à ma lecture spirituelle, à ma visite au Saint Sacrement, à mon Rosaire ; je vivrai de la pensée habituelle de Dieu, de Jésus, de Marie, de Joseph, sous leur regard, dans l'intimité de leur présence sentie au fond de mon âme ; dans l'ineffable conviction qu'avec la grâce sanctifiante je porte la Sainte Trinité, le ciel tout entier, dans mon cœur ! et que je peux, que je dois, traiter avec Dieu, comme un ami avec son ami, sicut solet loqui homo ad amicum suum (1), comme un fils avec son Père très aimant et très aimé ; le plus aimant, le plus aimé !

438. — Prêtre humble. 4° Je veux être un prêtre humble : un prêtre pénétré de son néant et de son indignité en face du divin sacerdoce dont il a été revêtu ; un prêtre, qui remerciera Dieu toute sa vie de cet incomparable honneur, s'interdisant comme un crime toute visée de grandeur terrestre, et se considérant comme arrivé dès le jour où il a été fait prêtre. Je veux être un curé de campagne ; là se bornent et se borneront toujours mes ambitions.

439. — Prêtre zélé. 5° Je veux être un prêtre zélé : actif, travaillant ardemment au salut des âmes ; me tenant au courant de toutes les industries d'apostolat, de toutes les œuvres anciennes et nouvelles, qui peuvent être utilisées pour le progrès du règne de Dieu dans le monde.

Cependant, je cultiverai en premier lieu les œuvres, qui atteignent plus directement les âmes. Da mihi animas ! tel sera le cri de mes ardeurs apostoliques.

Et, certes, je ne commettrai pas le crime de diminuer mes catéchismes pour des exercices de gymnastique, ni d'écourter la préparation de mes prônes pour organiser des représentations théâtrales, ni de négliger mes confréries pour des caisses rurales et des syndicats. En un mot, je n'aurai garde de faire passer l'accessoire avant le principal ; ni ce qui plaît davantage à la nature, avant ce qui est de l'ordre de la grâce ; ni le côté temporel de ma mission, avant le côté spirituel et surnaturel. Les âmes, les âmes avant tout ! Ce saint zèle, je le puiserai et le renouvellerai chaque jour dans mes contacts eucharistiques et dans mes exercices religieux, évitant avec soin que mon action apostolique ne me détourne de la piété, qui doit rester son aliment et son principe. Ainsi, j'espère que je serai un agissant, un persévérant dans l'action, jamais un agité que le succès dissipe, enivre et transporte, mais qui se décourage et tombe abattu dès les premiers revers.

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(1) Exode, xxxiii, 11.

 

440. — Prêtre catholique. 6° Je serai un prêtre catholique, me considérant comme un humble combattant de cette grande armée, dont le Souverain Pontife est le général en chef, et l'évêque diocésain le capitaine de qui je relève immédiatement.

L'Eglise est une hiérarchie d'institution divine. Je m'en souviendrai toujours, et, sachant que la discipline est la force d'une armée et la condition de toutes les victoires, je serai un combattant obéissant, toujours attentif à écouter et à suivre le mot d'ordre, qui doit venir d'en haut.

Engagé dans cette hiérarchie divine, je considérerai comme une déchéance de me mettre à la remorque d'autres chefs sans mandat, je ne me laisserai séduire par aucun verbe plus ou moins sonore, par aucune audace - plus ou moins équilibrée. Mes chefs je les connais : ils sont à Rome ou m'arrivent de Rome ; ils viennent de Dieu. Je n'en veux point d'autres ; car je n'obéis qu'à Dieu ! Je me glorifierai donc d'être un prêtre papiste et romain !

*

* *

441. — Prêtre eucharistique. 7° Enfin, pour dire, eu un mot, le fond le plus intime de mes pensées et de mes ambitions d'avenir : Je veux être un prêtre Eucharistique.

Je vivrai de Jésus, mihi vivere Christus est (1). Je vivrai de l'Eucharistie — præsta meæ menti de te vivere, et te illi semper dulce sapere (2).

Je serai le compagnon habituel de l'hôte du tabernacle. Lui est si seul dans la froide église ; et moi je serai si seul dans mon presbytère ! Lui et moi, nous mettrons en commun nos solitudes et elles se changeront en la société la plus délectable.

Jésus ne pouvant venir loger chez moi, c'est moi qui viendrai chez lui. Je m'ingénierai à rester le plus longtemps possible près de lui. Au lieu de méditer tout seul au presbytère, je méditerai à l'église, sous son regard, avec Lui. Là, je dirai le saint office, mon rosaire ; là, je ferai mes lectures spirituelles, mes examens de conscience, tous mes exercices de piété.

Sera-ce tout ? Avec les exercices de piété, l'étude doit marcher de pair ; j'y consacrerai de longues heures. Ces heures m'éloigneront-elles de Jésus? Je sais de saints prêtres qui disposent leur table de travail à la sacristie, tout près du tabernacle, et passent là les meilleurs moments de leur journée à chercher dans leurs livres ce même Jésus qu'ils trouvent au tabernacle. C'est à son école qu'ils veulent apprendre à le communiquer, à le donner aux âmes, de plus en plus clairement, de plus en plus chaudement, de plus en plus suavement l

Je le vois, ce prêtre, feuilletant avec amour les livres qui partent de son Jésus ; il n'en lit guère que de ceux-là. Mais, tout en regardant ses livres, il semble qu'il ne détache pas ses yeux du tabernacle, car il a soin de projeter et de faire converger sur l'Hostie, livre plus complet, plus divin, les rayons de lumière recueillis ça et là. Oh ! comme l'Eucharistie doit réfléchir ces rayons, et avec quel surcroît de splendeur elle les renvoie et les darde sur l'intelligence et le cœur de son prêtre. Entre le prêtre qui étudie et l'Eucharistie étudiée, quels colloques intimes, quel flux et reflux de lumière et d'amour !

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(1) Philipp. 1, 21.

(2) Hymne Adoro te.

 

Je veux être ce prêtre, vivant de l'Eucharistie, s'abreuvant incessamment à cette source de lumière, de chaleur et d'énergie.

Mais, ces ardeurs et ces énergies, je les dirigerai aussitôt sur les âmes ; car, c'est à travailler pour les âmes, c'est à souffrir pour elles, que l'amour de Jésus me presse et que sa croix me provoque et m'entraîne. Impendam et superimpendar ipse pro animabus (1). Pour les âmes, je dépenserai, à plein cœur, mon temps, mon travail, mes jours, mes nuits, toutes mes ressources, tout ce que j'ai, et, enfin, tout moi-même, par surcroît.

Pour les âmes, j'irai jusqu'à écourter ces cœur à cœur avec Jésus, qu'il me serait si doux de prolonger. A vouloir rester trop longtemps à l'église, à m'oublier dans les colloques eucharistiques, j'aurais peur de négliger les âmes et de m'endormir dans une sorte de sybaritisme mystique.

Pendant ce temps, l'homme ennemi ravagerait mon troupeau. C'est bien pour cela que les méchants s'écrient : le prêtre à l'église ! le prêtre à la sacristie ! Ils voudraient l'y, confiner, pour rester libres dans leurs attentats contre les âmes.

A Dieu ne plaise que je les laisse exercer en paix leurs déprédations ! Je passerai donc de longues heures à l'église, à la sacristie ; mais je saurai en sortir aussi. Si je m'y attardais au détriment des âmes, Jésus lui-même me congédierait en me disant : " Il y a là-bas une famille en deuil, ta visite lui fera du bien ; va !" — ou bien : " Ce malade est en danger et son âme a besoin de rentrer en paix avec moi ; va me le conquérir. " — ou encore : " Dirige tes pas de ce côté, sur ce chemin ; essaye de rencontrer, comme par hasard, tel paroissien endurci ; aborde-le amicalement, et, avec des délicatesses infinies, essaye d'ouvrir son cœur à la confiance ; je t'aiderai à le ramener — va ! va !" — Chaque fois que j'entendrai ce congé, je partirai aussitôt, sans balancer ; mais, en sortant de l'église, je ne quitterai pas pour cela Jésus ; je me tiendrai sans cesse sous l'influence et le rayonnement de son Cœur, comme cette fleur, avide de lumière, qui tourne toujours son calice vers le soleil.

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(1) II Cor. xii, 15.

 

Oh ! je ne m'ennuierai pas avec Jésus, et je mets au défi le monde entier de me séparer de Lui. Qui donc, en effet, me séparera de l'amour du Christ ? Sera-ce la tribulation ou l'angoisse, la persécution ou la faim, la nudité ou le péril, sera-ce le glaive ? Pendant toute ma vie sacerdotale, je serai peut-être exposé à la mort, ainsi qu'il est écrit : " On me regardera comme une brebis destinée à la boucherie. " Qu'importé ! De toutes ces épreuves je sortirai plus que vainqueur, par Celui qui m'a aimé. Car, j'ai l'assurance que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les événements présents, ni les événements à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune créature ne pourra me séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur (1).

Voilà jusqu'où essaye de s'élever l'intention de mon âme lévitique ; voilà le prêtre que je voudrais être ; voilà mon programme sacerdotal.

Est-il complet ? Ai-je bien touché et dévoilé le fond de mon intention droite ? Non ! il est des désirs si intimes, qu'ils ne sauraient s'exprimer. Je compte faire beaucoup plus encore avec Jésus, par Jésus, en Jésus. Quoi donc ?

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(1) Rom. viii. 35-39.

 

Mihi vivere Christus est : c'est toute la réponse que je peux faire ; c'est la devise du sacerdoce que j'ambitionne ; mais qu'on ne m'en demande pas davantage; je me sens incapable de décrire tout ce que ce mot renferme, à peine puis-je le deviner et le pressentir...

 

 

 

CHAPITRE II

Science suffisante

Amplectentem eum qui secundum doctrinam est fidelem sermonem, ut potens sit exhortari in doctrina sana et eos qui contradicunt arguere. (Tit. I, 9.)

 

442. — Synthèse des considérations qui vont suivre. Un jeune homme, par le seul fait qu'il entre et demeure au Grand Séminaire, témoigné qu'il a l'intention de devenir prêtre et d'implorer l'appel divin. Il n'a des chances d'arriver au but désiré, que s'il remplit les conditions d'aptitudes intellectuelles et morales requises pour les fonctions du sanctuaire.

Dans ce chapitre, nous allons parler des aptitudes intellectuelles enfermées dans ce titre trop concis : science suffisante.

Pour décomposer ce titre et détailler son contenu, observons que la science est reçue dans Cette faculté de l'âme qu'on nomme l'intelligence, et que l'intelligence, comme toute faculté, peut se trouver affectée de dispositions, d'habitudes bonnes ou mauvaises, qui facilitent ou compromettent l'acquisition de la science.

La science suffisante requiert donc, en premier lieu, que l'intelligence, considérée en elle-même comme faculté, soit suffisamment puissante et ouverte ; — en second lieu, que l'intelligence ne soit pas déformée par des défauts surajoutés, mais demeure suffisamment droite. Ce sont là deux présupposés sans lesquels l'acquisition de la science suffisante serait impossible. Ce n'est pas assez. Qui dit science suffisante exprime enfin une intelligence ornée des connaissances reconnues nécessaires pour l'exercice normal rie tel ou tel emploi.

Donc la science suffisante chez les candidats au sacerdoce exige :

1° Une intelligence suffisamment puissante.

2° Une intelligence convenablement disposée.

3° Une intelligence suffisamment cultivée.

443. — Quatre sortes d'esprits. Cela dit pour les besoins de la synthèse, ajoutons en langage plus simple que nous avons à parler de quatre sortes d'esprits, plus ou moins inaptes au sacerdoce.

1° l'esprit borné,

2° l'esprit léger,

3° l'esprit faux,

4° l'esprit ignorant ou insuffisamment cultivé.

Et, pour ramener à la précédente cette division nouvelle, observons que l'esprit borné correspond, à l'intelligence qui n'est pas suffisamment puissante : que l'esprit léger et l'esprit faux supposent une intelligence non convenablement disposée ; que l'esprit ignorant est celui dont l'intelligence est insuffisamment cultivée.

Toutes ces considérations visent le minimum de la seconde condition d'idonéité : le minimum de science.

Après quoi, nous ajouterons quelques réflexions au sujet du maximum désirable en ces matières.

D'où les deux articles qui vont suivre.

 

 

ARTICLE I

SCIENCE SUFFISANTE : SON MINIMUM.

§1

L'esprit borné.

 

444. — Incapacité de l'esprit borné. L'intelligence du séminariste doit être suffisamment puissante, ouverte, clairvoyante, pénétrante. L'esprit borné, obtus, étroit, n'est pas apte à recevoir la quantité relativement considérable de connaissances requises pour le sacerdoce, ni à saisir bon nombre de questions difficiles que le prêtre doit posséder. Ce défaut physique est ordinairement irréformable, inguérissable ; l'application la plus soutenue de la part de l'élève, le dévouement le plus complet de la part du maître n'y pourraient rien.

445. — Il est à éliminer de bonne heure. Il est fort à souhaiter qu'on ne rencontre plus de ces sujets dans les Grands Séminaires ; le Petit Séminaire aurait dû les éliminer tous ; et même les prêtres recruteurs n'auraient pas dû les envoyer au Petit Séminaire.

Le bon curé se laisse parfois tromper par une certaine gentillesse, que l'on prend à faux pour de l'intelligence ; il ne remarque pas assez que cet enfant si gentil ne comprend rien aux explications données au catéchisme.

Plus souvent on est ébloui par une heureuse mémoire qui brille parfois — et le phénomène n'est pas rare — en ces esprits bornés. C'est la pénétration de l'intelligence qu'il faut avoir constatée chez l'enfant, au moins en germe, pour qu'on puisse le diriger vers les Séminaires.

446. — Esprit borné et esprit lent. Il ne faudrait cependant pas confondre l'esprit borné avec l'esprit lent. Le premier, malgré tous les efforts, n'arrivera pas à comprendre ou comprendra très peu ; le second mettra du temps à comprendre, mais il y arrivera ; il ira même jusqu'au fond de la question, dépassant ainsi, par un travail soutenu, l'esprit rapide, facile, qui a saisi plus vite, mais s'est arrêté à mi-chemin.

Il est inutile d'insister sur ce point qui intéresse très peu €t ne devrait intéresser en rien les Grands Séminaires ; tous ceux qui en franchissent le seuil ont une intelligence suffisamment ouverte.

 

 

§ II

L'esprit léger.

 

447. — Dispositions intellectuelles des candidats. Les dispositions naturelles ou acquises, qui peuvent affecter l'intelligence, doivent faire au Grand Séminaire l'objet d'une étude très attentive ; car, c'est là surtout qu'elles se révèlent et que leur présence est plus significative.

Ces dispositions, ou plis, sont tantôt favorables, tantôt très défavorables à la culture ecclésiastique.

448. — Description de l'esprit léger. Parmi les plis mauvais, signalons en premier lieu la légèreté. L'esprit léger est irréfléchi, superficiel, incapable d'une attention soutenue ; il se contente d'effleurer les questions, et se flatte de les avoir comprises quand il les a à peine touchées. Interrogez-le, il vous répondra presque toujours ; mais ses réponses seront très vagues ; poussez-le à fond, il ne vous suivra plus et s'étonnera de votre insistance ; il n'a même pas l'idée qu'on puisse aller plus loin que

l'écorce des choses ; il prend pour de la subtilité ce qui est l'effort raisonné d'une intelligence qui ne peut se contenter d'à peu près. Lui vit précisément dans l'a peu près. N'ayant de convictions approfondies sur rien, il est exposé aux plus grosses méprises de théorie et de pratique, et même, plus tard, à de lamentables naufrages de croyance.

449. — Défaut à surveiller. Ce défaut est particulièrement à surveiller dans les Grands Séminaires ; et, s'il ne doit pas trop préoccuper chez l'enfant du catéchisme, ni même dans l'élève des premières années du Petit Séminaire, il devient de plus en plus inquiétant à mesure qu'on avance dans les classes. La légèreté, naturelle à l'enfance, doit disparaître et disparaît d'elle-même tandis que l'esprit se développe, à moins qu'elle ne soit précisément un vice invétéré, un mauvais pli de l'esprit.

450. — Défaut facile à constater. Au Grand Séminaire, ce défaut est de constatation d'autant plus aisée, qu'on y est sans cesse amené à approfondir des questions. Car, si un esprit léger, surtout quand il est favorisé d'une imagination et d'une mémoire heureuses, peut se tirer facilement, et même avec honneur, de ses études littéraires, il viendra échouer lamentablement sur les notions compliquées de la philosophie et de la théologie, où ce ne sont plus les intelligences faciles qui réussissent, mais les intelligences sérieuses et appliquées.

451. — Continent on en guérit. Ce défaut n'est pas irrémédiable ; le plus souvent, il provient d'un manque de volonté et d'énergie. Par de sérieux efforts sur lui-même, par la prière humble et confiante, par la grâce provoquant et soutenant ses efforts, l'esprit léger arrivera à se posséder, au point de pouvoir rester longuement et patiemment appesanti sur un même objet. De papillon volage qu'il était, il sera devenu l'abeille diligente, qui épuise le suc d'une fleur avant d'aller se poser sur une autre.

Mais encore faut-il qu'il se corrige ; sans quoi l'accès du sacerdoce ne pourrait lui être ouvert.

Ce qui est difficile à déterminer — et nous ne l'essaierons même pas — c'est le degré de légèreté qui constitue une inaptitude réelle, motivant une élimination. Pour résoudre les cas embarrassants, ce n'est pas trop de toutes les lumières combinées des Directeurs de Séminaire et de leurs diverses informations. Ils procéderont avec toute la maturité, toute la prudence nécessaires, afin de sauvegarder à la fois l'avenir de leurs élèves et l'honneur du sacerdoce.

 

§ III

L'esprit faux.

 

452. — Description de l'esprit faux. Après l'esprit léger, signalons l'esprit faux. Celui-ci n'est, le plus souvent, ni borné, ni superficiel. Il voit, mais voit très mal ; il approfondit, mais de travers.

M. Branchereau nous paraît avoir dépeint d'une touche aussi fine qu'exacte, l'esprit faux.

" L'esprit faux ne manque pas de perspicacité ; il possède parfois une force d'application assez puissante ; les dons de l'intelligence ne lui font pas défaut. Mais il juge mal. Cet instinct du vrai, ce sapor veritatis qui fait apprécier la saveur des aliments, ce bon sens qui saisit avec sûreté les relations réelles des idées, qui supplée, en beaucoup de cas, à la science, et auquel la science ne supplée jamais, lui manquent absolument. On dirait que chez lui ces précieuses qualités sont remplacées par une qualité toute contraire, une sorte d'attrait pour le paradoxe, de penchant instinctif pour le faux. La cause de cette tendance d'esprit se trouve le plus souvent dans une vue incomplète de la vérité. Au lieu d'envisager les questions à tous leurs points de vue, l'esprit faux ne les voit que sous un aspect, dans lequel il se concentre et s'obstine. C'est pourquoi l'esprit faux est presque toujours entêté. N'essayez pas de raisonner avec lui. En vain vous lui présentez, pour le convaincre et le ramener dans la voie droite, les arguments les plus péremptoires ; il ne vous suit pas. Malgré tout ce que vous pouvez lui dire, il poursuit sa route qu'il croit être la bonne. Et si, comme il arrive souvent, il est logique, rien ne l'arrêtera dans ses déductions ; il les poussera jusqu'au bout, sans même reculer devant les plus absurdes conséquences (1)."

453. — L'esprit faux est paradoxal. Ses dires étonnent et heurtent ; il se plaît à éblouir la galerie par des affirmations qui vont à rencontre du bon sens ; il lance des aphorismes pompeux, dont il saisit à peine la portée. Les mots si équivoques de " conscience, liberté, sentiment de la dignité personnelle, respect et intégrité de la personne humaine, droits imprescriptibles de la pensée et de la conscience, inviolabilité du moi et autres formules à effet, reviennent fréquemment sur ses lèvres.

454. — L'esprit faux est téméraire. Il se plaît à suivre, en matière de doctrine, les opinions moins sûres, voire même les plus risquées. Aller par les sentiers battus, lui paraît trop vulgaire. Il cherche à se singulariser, à se faire remarquer ; à quoi l'on ne parvient qu'en pensant et en parlant autrement que le commun des mortels.

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(1) branchereau. Op. cit. p. 134.

 

455. — Son attitude en philosophie. S'il est étudiant en philosophie, il s'éprendra des systèmes les plus bizarres, même et surtout quand ils sont vivement combattus par le professeur. Le sentiment unanime des Ecoles catholiques, l'autorité des grands noms de la scolastique le touchent assez peu. Par contre, il sera invinciblement alléché par toute opinion qu'il saura en vogue dans le monde profane, dans les milieux universitaires. De ce côté-là sont les esprits vraiment indépendants, de pensée libre, déclare-t-il ; et il croît faire lui-même preuve de saine et haute indépendance, en se mettant à leur remorque. Tout ce qui viendra de là, il le recevra, a priori, comme parole d'Evangile ; tant il est vrai qu'on ne rejette la sujétion glorieuse à la parole divine, que pour tomber sous le joug humiliant des fantaisies humaines ; mais c'est le fruit défendu, cela suffit.

456. — Son attitude en théologie et en exégèse. En théologie surtout, et en exégèse biblique, la témérité de l'esprit faux se manifestera de plusieurs manières. Il supportera impatiemment la Révélation et surtout les définitions de l'Eglise : autant de lisières à la pensée, se dit-il tout bas. H prétendra se rendre compte par lui-même ; et, quand il ne verra pas, quand il ne comprendra pas, il tournera le dos, en déclarant, en propres termes ou équivalemment : " Ce ne sont que des mots ".

Des qu'il entendra parler de théologie positive, il la préférera d'instinct à la scolastique. Et si l'on commet, l'imprudence de lui proposer cette: méthode qu'on a décorée du; vocable hétéroclite de "théologie historique", c'est celle-là qui obtiendra toutes ses faveurs et sera proclamée l'unique", la seule vraie théologie.

457. — Son engouement pour les novateurs. S'il apprend que des professeurs, plus ou moins en renom, enseignent des doctrines étranges, qui soulèvent ,des protestations unanimes dans la partie la plus saine de l'Eglise ; si l'on ajoute que Rome se préoccupe de ces nouveautés et les appelle à son tribunal pour en décider avec autorité, d'avance l'esprit faux prend parti pour les prévenus. Il compte bien, dit-il, que l'on ne commettra pas l'imprudence de les condamner ; et, si la condamnation est portée, il s'apitoye sur les pauvres victimes, en murmurant qu'on ne les comprend pas encore, mais que leur idée fera son chemin et triomphera de toutes les oppressions.

458. — Son audace en histoire. Sur le terrain de l'histoire, qu'il affectionne particulièrement, son audace n'aura pas de bornes ; Il fera ses délices de démolir les plus solides traditions et de dénicher quelque saint du martyrologe. Pour cela il ne reculera pas devant les hypothèses les plus absurdes. Faire la chasse au surnaturel est son œuvre de prédilection, qui tourne chez lui à l'idée fixe ; non qu'il ne croie pas au surnaturel, mais il prétend s'en instituer le policier, le gendarme, et se plaît à lui crier sans cesse et à tout propos : on ne passe pas montrez-moi vos papiers !

459. — Ses prétentions en sociologie. S'il se lance dans les questions sociales, en ces problèmes délicats et compliqués, où les esprits les plus vigoureux, les mieux avertis ne se risquent qu'en tremblant, il prétendra très vite avoir tout compris et aura sur chaque point en litige sa solution toute prêté... Les systèmes les plus fantaisistes obtiendront ses- faveurs, et, au lieu de se rallier aux sûres doctrines de la sociologie catholique, il préférera suivre des chefs d'aventure, s'agréger à des groupements hybrides ; et parfois lui, clerc, futur prêtre, il s'en fera le champion d'autant plus ardent qu'ils se déclareront plus indépendants envers l'Eglise, et plus laïques.

460. — L'esprit faux est obstiné. N'essayez pas de lui montrer qu'il a tort ; vous y perdriez votre temps et votre peine. Plus vos raisonnements seront clairs, pressants, plus il se raidira contre leur évidence. De ces sortes de gens on dit fort justement : " Ils se laisseraient casser la tête, plutôt que de céder ". L'opiniâtreté est donc la caractéristique dernière de l'esprit faux. Il ira jusqu'à traiter avec une dédaigneuse pitié ses professeurs, surtout ceux qu'il verra plus fermement attachés aux doctrines les plus sûres, les plus catholiques.

461. — L'esprit faux est à base d'orgueil. Mais cet amour du paradoxe, ces témérités et ces obstinations viennent d'une source plus profonde : de l'orgueil, de cet orgueil de l'esprit, le plus subtil, le plus tenace, le plus irrémédiable de tous les orgueils.

Comment prend-il naissance dans une âme ? L'esprit faux, avons-nous dit, est ordinairement facile, vigoureux, parfois même brillant. Ce sont précisément ces dons, trop complaisamment constatés en soi, qui l'ont jeté dans l'orgueil. Sans se l'avouer expressément peut-être, il se croit plus informé, plus éclairé que tout autre. Estime-t-il vraiment qu'il puisse se tromper ? En théorie, oui ; mais, pratiquement, il n'admettra jamais ou très rarement, qu'il se trompe, surtout en matières où il s'est déjà nettement et publiquement prononcé. Ses jugements sont des arrêts sans appel ; quand il a pris son parti, il s'y fixe, il s'y cramponne ; et les contradictions ne font que l'ancrer plus profondément à sa rageuse obstination. Dans toute discussion, le dernier mot lui restera toujours.

462. — La fausseté de l'esprit s'allie avec une certaine piété. A cette silhouette de l'esprit faux, téméraire, entêté, orgueilleux, nous pouvons ajouter un trait bien digne de remarque. C'est le sage M. Dubois qui nous le fournit :

" Il arrive quelquefois que le séminariste entêté a des qualités qui voilent à ses yeux le défaut auquel il est sujet. Il n'est pas rare, en effet, de voir une piété, même assez avancée à quelques égards, unie à l'opiniâtreté ; et cette piété, qui n'est pas inconnue à celui qui en est doué, l'aveugle et le rassure, au lieu de l'éclairer et de lui inspirer des craintes. Son opiniâtreté à lui, porte pour l'ordinaire, sur des points philosophiques, théologiques, moraux ou ascétiques, qu'il croit, en conscience, pouvoir soutenir et qu'il soutient en effet, mais avec un zèle qui n'est pas toujours selon la science. Combien de pieux séminaristes et de saints prêtres, au temps où Lamennais prêchait ses doctrines philosophiques, défendaient ces doctrines avec une chaleur immodérée avant qu'elles eussent été condamnées par le Saint-Siège (1) !"

463. — Esprit faux et modernisme. Et si l'on nous dit que cette description détaillée que nous venons de faire de l'esprit faux, ressemble étonnamment à la figure du moderniste, esquissée par Pie X dans l'Encyclique Pascendi, nous n'y contredirons certes pas : nous nous contenterons simplement de conclure que le moderniste est essentiellement un esprit faux, doublé de témérité, d'obstination et d'orgueil ; et que tout esprit faux, téméraire, obstiné, orgueilleux, qui se trouvait dans les séminaires et ailleurs en ces dernières années, était mûr pour les erreurs modernistes, tout prêt à emboîter le pas, à la suite des grands coryphées de cette hérésie, rendez-vous de toutes les hérésies.

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(1) Dubois : Le guide du Séminariste, p. 152.

 

A la base de l'esprit faux, comme à la base de l'esprit moderniste, il y a l'orgueil, cet orgueil du pharisien, confiant en lui-même et plein de mépris pour les autres : in se confidebat et aspernabatur cæteros (1).

Cet orgueil de l'esprit enferme une hérésie fondamentale, génératrice de toutes les autres, celle qui méconnaît pratiquement une vérité élémentaire, hautement proclamée par l'Eglise, à savoir que l'homme, livré à lui-même, n'est capable que d'erreur et de péché (2). Or Dieu abandonne à lui-même et, donc, au mensonge, à l'erreur, l'homme qui croit pouvoir, sans Lui, trouver le vrai.

Telle paraît être la raison profonde de tous les égarements de l'intelligence humaine.

464. — L'esprit faux est à écarter du sacerdoce. Que penser maintenant de l'esprit faux au point de vue de la vocation sacerdotale ?

Nous répondrons sans hésiter, avec M. Branchereau : " Ces sortes d'esprits sont dangereux, ils devraient être sévèrement exclus du sacerdoce. "

Nous avons vu en quels égarements ils peuvent se perdre en matière d'études philosophiques, théologiques, historiques, sociales.

"Mais, continue M. Branchereau, c'est surtout au point de vue pratique qu'ils sont à craindre. Dans la conduite de la vie, dans le gouvernement des hommes, dans le maniement des affaires, l'esprit faux se révèle par l'absence de savoir-faire, par un manque absolu de tact, par des gaucheries et des maladresses inouïes.

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(1) Luc. xviii, 9.

(2) Nemo habet de suo nisi mendacium et peccatum. Si quid autem homo habet veritatis et justitiœ, ab illo fonte est, quem debemus sitire in hoc eremo, ut ex eo, quasi guttis quibusdam irrorati, non deficiamus in via. (Conc. Arausic. ii, can. 22).

 

Entre les mains d'un homme dont l'esprit manque de justesse, les affaires les plus simples s'embrouillent et deviennent insolubles. Il prend tout à rebours, fait naître à plaisir des difficultés, éloigne et aigrit par ses procédés blessants, et finalement ne réussit qu'à créer à tout le monde et à se créer à lui-même des embarras et des entraves. De telles gens sont en administration de véritables fléaux (1)."

465. — Ce qu'a deviendrait dans le ministère. Considérez-le comme vicaire. Pour des riens il contredira son curé, et il s'obstinera dans sa manière de voir ; ce sera un état de guerre perpétuelle avec des alternatives de scènes violentes et de répits relatifs ; mais de trêve durable, rarement ; mais de soumission, jamais ! parce que jamais le trop hardi vicaire ne saura se résoudre à reconnaître et moins encore à avouer ses torts. Heureux encore quand il ne mettra pas les paroissiens au courant des discussions orageuses dont retentit le presbytère !

Devenu curé à son tour, il bouleversera tout ; aucune œuvre de son prédécesseur ne trouvera grâce devant lui ; il mécontentera, il blessera, et jamais il ne saura présenter des excuses. S'étant rendu vite impossible, on devra l'envoyer dans un autre poste, mais il y recommencera les mêmes destructions et accumulera de nouvelles ruines.

Ces gens-là sont des fléaux ; après qu'ils ont passé par plusieurs paroisses comme des cyclones, les administrations diocésaines, harcelées de plaintes à leur endroit, ne savent plus que faire de tels sujets.

Voilà pourquoi M. Branchereau a porté son arrêt sévère et si motivé : "ces sortes d'esprits doivent être sévèrement exclus du sacerdoce ".

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(1) BRANCHEREAU : Op. cit. p. 135.

 

466. — L'esprit faux est inguérissable. " Il est à remarquer, ajoute un peu plus loin le même auteur, que la fausseté de l'esprit ne se corrige pas. Car, pour qu'il fût possible de s'en défaire, il serait d'abord nécessaire d'en constater la présence en soi ; or, si l'on pouvait reconnaître ce défaut, on ne l'aurait pas. Aussi on convient volontiers de certains défauts ; on avoue qu'on a l'esprit lent ; qu'on a peu de mémoire ; mais qui convient qu'il manque de tact ou de jugement (1) ?"

Réflexion très grave, mais tout aussi juste. Les Maîtres de la vie spirituelle l'avaient faite avant M. Branchereau : " Il y a là, dit le docte et pieux Scupoli, un mal fort difficile à guérir ; car l'orgueil de l'esprit est plus dangereux que celui de la volonté. En effet, lorsque l'esprit a découvert l'orgueil dans la volonté, il peut facilement, à un moment donné, la guérir, en se soumettant à la direction voulue ; mais celui qui est convaincu que sa manière de voir est supérieure à toute manière de voir, par qui et comment pourra-t-il être corrigé ? Comment pourra-t-il se soumettre au jugement d'autrui, lui qui n'en conçoit pas d'aussi parfait que le sien ?

" Si l'intelligence, cet œil de notre âme, qui a mission de sonder et de purifier la plaie d'une volonté superbe, est malade, aveugle, tout envahie par l'orgueil, qui donc pourra la guérir ?

" Et si la lumière dégénère en ténèbres, et si la règle devient une source de fautes, qu'adviendra-t-il de tout le reste (2) ? "

C'est dès les débuts seulement que le mal est guérissable. Quand il s'est installé dans l'âme, c'est trop tard : " En conséquence, ajoute le pieux auteur, résistez de bonne heure à un orgueil si fécond en dangers, avant qu'il vous pénètre jusqu'à la moelle des os.

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(1) Ibid. p. 137.

(2) Combat spirituel, chap. ix.

 

" Emoussez la pointe de votre esprit ; soumettez facilement votre manière de voir à celle des autres ; que l'amour de Dieu fasse de vous un insensé, et vous serez plus sage que Salomon (1). "

Et Bossuet dans son grand langage a décrit lui aussi l'orgueil de l'esprit : " Une erreur sans fin, une témérité qui hasarde tout, un étourdissement volontaire, et en un mot, un orgueil qui ne peut souffrir son remède, c'est-à-dire qui ne peut souffrir une autorité légitime. Ne croyez pas que l'homme ne soit emporté que par l'intempérance des sens ; l'intempérance de l'esprit n'est pas moins flatteuse. Comme l'autre elle se fait des plaisirs cachés, et s'irrite par la défense (2). "

Qu'on remarque les derniers mots que nous avons soulignés. Souvent, dans les Séminaires, l'esprit "faux, orgueilleux, téméraire, se sentant en péril, se cache et se dissimule sous les dehors de la régularité et de la piété. Il ne se trahit qu'en secret, dans un petit cercle d'intimes, qui le considèrent comme un oracle ; et là il peut exercer bien des ravages...

Caveant consules !

 

 

§ IV

L'esprit ignorant.

 

467. — Connaissances nécessaires à l'ordinand. Supposons dans le séminariste une intelligence ouverte et droite. La faculté est puissante et aucun mauvais pli n'est venu l'infléchir habituellement vers le faux.

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(1) Idem, ibidem.

(2) Bossuet : Oraison funèbre d'Anne de Gonzague; Ed. Lebarq, vi, p. 271.

 

Il lui reste à l'orner des connaissances qu'exigé la vocation sacerdotale. Quelles sont ces connaissances ? La sagesse de l'Eglise, le zèle des Evêques et des Directeurs de Séminaire en ont déterminé l'étendue et le degré en des programmes qui sont les mêmes partout, à quelques détails près, et selon des critériums d'appréciation, qui varient très peu d'un diocèse à l'autre, dans un même pays.

L'élève du Petit Séminaire a subi des examens plus ou moins fréquents, qui l'ont tenu en haleine, en le stimulant de plus en plus à mesure qu'il se rapprochait davantage du Grand Séminaire.

L'examen de passage, subi avec honneur, a été la consécration officielle de ses études secondaires ; parfois, même, le baccalauréat classique est venu mettre à son front une auréole nouvelle.

Le voilà au Grand Séminaire !

Ici les études vont le préparer d'une manière plus immédiate au sacerdoce. Ici il va se trouver encore- en face de programmes très précis, d'examens très consciencieux, de tout un ensemble d'épreuves écrites ou orales, qui manifesteront ses progrès, ou dévoileront ses négligences et son infériorité.

Ses professeurs sont là, préoccupés de lui inculquer toutes les connaissances qu'ils savent nécessaires ou utiles au prêtre. Responsables, au point de vue intellectuel, des candidats au sacerdoce, ils jugeront chaque année et à toute nouvelle ordination, si l'élève a réalisé les progrès, exigés par ses ascensions successives vers l'autel.

Ici, le mécanisme du Séminaire joue avec une grande .facilité et l'élève qui est sérieusement appliqué à ses devoirs réussit très bien à donner toute satisfaction, sans effort trop considérable, pourvu qu'il possède les qualités d'intelligence et de droiture dont nous avons parlé.

468. — Aucune des sciences ecclésiastiques ne doit être négligée. Inutile d'entrer dans les détails. Qu'on nous permette, seulement de noter, qu'un élève qui est vraiment dans sa vocation ne doit négliger avec affectation aucune des études, prescrites par le règlement du Séminaire. Toutes ont leur raison d'être, toutes .concourent, chacune pour sa part, à la bonne formation du prêtre complet que tout séminariste doit ambitionner de devenir. Les cours secondaires n'ont certainement pas la même importance que les autres et il serait déplacé de s'y adonner au détriment des grands cours ; c'est aussi pour cela que le programme d'études ne leur concède qu'une place réduite ; mais, cette place, encore faut-il la leur laisser intacte, et ne pas tendre à la supprimer tout à fait. La liturgie est un cours secondaire, mais qui oserait dire que c'est un cours inutile ? Le plain-chant est un cours accessoire, mais que penser de celui qui ne se préoccuperait pas d'apprendre à chanter convenablement les mélodies officielles de l'Eglise ? Un ouvrage récent sur le Grand Séminaire de Dax nous rapporte qu'avant la Révolution le plain-chant tenait une place honorable dans le règlement des études cléricales en France. On nous cite même le cas d'un acolyte du Séminaire de Bordeaux, qui ne fut pas admis au sous-diaconat, parce qu'il ne savait pas le plain-chant. Et l'auteur d'ajouter : " Que le cas doive être considéré comme une exception, ou comme une application de la règle générale, il n'en reste pas moins vrai qu'il témoigne de l'importance que les directeurs de Séminaire ajoutaient à toutes les matières qui constituent l'enseignement des jeunes clercs (1). "

S'appliquer convenablement à toutes les matières de l'enseignement ecclésiastique ; sur chacune obtenir aux examens des notes suffisantes ; témoigner ainsi d'une intelligence ouverte, sérieuse, équilibrée, tel est, en résumé, le minimum de science que l'on est en droit d'exiger d'un aspirant qui sollicite l'appel au sacerdoce.

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(1) Lahargou : Le grand Séminaire de Dax, p. 121. Paris, Poussielgue, 1909.

 

469. — Le minimum de science varie selon les temps. Ce minimum varie selon les temps et selon les besoins de l'Eglise. On peut dire qu'il tend à devenir de plus en plus élevé, à mesure que s'élève le niveau de la culture générale dans le monde.

Nous l'avons déjà remarqué dans les belles paroles, citées plus haut, de Monseigneur Dadolle (1).

Un autre évêque français émet un jugement tout semblable sur le degré d'instruction qui paraît indispensable chez le prêtre aujourd'hui.

" L'instruction est trop répandue aujourd'hui pour qu'on puisse admettre l'insuffisance de celle du prêtre. On est devenu pour lui, à cet égard, très exigeant. Gardons-nous de nous en plaindre ; c'est un hommage rendu à notre sacerdoce que de l'estimer ainsi incompatible avec la médiocrité du savoir. Il est un certain degré de culture générale dont le prêtre ne peut se passer, s'il veut rester digne de la considération qui s'attache à son caractère et exercer un ministère fructueux. Appelé à se produire dans tous les milieux, il doit ne paraître déplacé dans aucun. — Quant aux paresseux, vous ne sauriez être pour eux trop sévères. Si, incapables et impropres à tout, ils rêvent néanmoins d'installer dans l'Eglise, comme dans un refuge tranquille, leur insuffisance, n'hésitez point à leur barrer la route. Il serait périlleux pour eux et pour les âmes et non moins déshonorant pour notre sacerdoce de les garder : qu'ils s'en aillent d'où ils sont venus (2). "

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(1) Cf. 2e partie, chap. ii, N° 282.

(2) Mgr Henry, év. de Grenoble dans Recrut. Sac. 1904, p. 6.

 

 

 

 

ARTICLE II

SCIENCE SUFFISANTE: MAXIMUM A PROMOUVOIR.

 

470. — Les séminaristes ne se contenteront pas du minimum. Les paroles épiscopales que nous venons de citer, jointes aux recommandations pressantes qui arrivent de tous les points de l'horizon, doivent persuader à nos jeunes clercs que ce serait fort mal répondre à l'attente de l'Eglise, que de se borner au minimum de connaissances strictement indispensable pour le ministère des autels.

Leur ambition doit être, au contraire, de fournir, pendant les précieuses et irréparables années de leur Séminaire, une carrière scientifique très vaste, très féconde.

 

§ I

Les candidats au sacerdoce ont besoin d'études

aussi fortes que possible.

 

Ils en ont besoin :

1° pour eux-mêmes.

2° pour leur futur ministère.

 

471. — Orner l'esprit. 1° Pour eux-mêmes : afin d'orner leur esprit magnifiquement, somptueusement. Ce doit être là, après la parure de l'âme et du cœur, la plus recherchée de leurs parures, et, après la beauté de l'âme et du cœur, leur beauté préférée, digne de tous leurs soins, de leur assiduité la plus constante.

472. — Occuper l'esprit. Ils ont besoin de fortes études encore, pour occuper leur esprit. L'esprit inoccupé se repaît de rêves et de chimères ; il devient léger, mouvant comme le sable, et demeure exposé à toutes les tentations. L'étude appliquée est une des meilleures sauvegardes contre la tentation, la légèreté, la dissipation, et les rêves décevants.

473. — S'affermir dans la foi. Les études leur sont nécessaires enfin pour rester fermes dans la foi ; pour éviter ces naufrages de croyances que saint Paul déplore amèrement dans sa première lettre à Timothée, son cher séminariste d'autrefois devenu son confrère dans le Sacredoce ; naufrages de croyance, dont l'occasion, sinon toujours la cause immédiate, est l'ignorance. On prétend être docteur de la loi, c'est-à-dire représentant et porte-parole de la religion catholique, alors qu'on ne comprend ni ce dont on parle, ni ce qu'on affirme. C'est pourquoi l'on s'égare dans les vains discours, et l'on en vient à s'enfoncer tout à fait dans les doutes et les incrédulités du siècle (1).

Quand on ne sait pas, en effet, l'on tourne à tous les vents des opinions humaines (2) ; on plie comme un roseau. Le rosau plie facilement, parce qu'il est vide. La foi de plusieurs chancelle, parce qu'elle est vide de vrai savoir : arundinem vento agitatam (3).

Apprenons, frères bien-aimés, dirons-nous avec saint Grégoire, apprenons à ne ressembler pas au roseau agité par le vent : Discamus ergo, fratres carissimi, arundinem vento agitatam non esse, Qu'ils étudient donc, nos jeunes clercs, qu'ils étudient avec une sainte ardeur, qu'ils ornent luxueusement leur esprit, qu'ils l'occupent sainement, qu'ils le munissent de convictions inébranlables.

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(1) Finis autem prœcepti est charitas de corde puro et conscientia bona, et fide non ficta. A quibus quidam aberrantes, conversi sunt in vaniloquium. Volentes esse legis doctores, non intelligentes neque quæ loquuntur, neque de quibus affirmant... circa fidem naufragaverunt I. Tim. 1, 5, 6, 7, 16.

(2) Ut jam non simus parvuli fluctuantes et circumferamur omni vento doctrinœ. Ephes. iv, 14.

(3) MATH., xi, 7.

 

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* *

474. — Funestes effets de l'ignorance. 2° Ils ont besoin de fortes études pour leur ministère futur. Aujourd'hui, l'estime va à la science autant et peut-être plus encore qu'à la vertu... Par contre, l'ignorance, surtout chez un prêtre, est poursuivie des moqueries les plus amères. Prêtres, futurs prêtres, nous devons briller par là science, si nous voulons éviter que notre ministère ne sombre sous le ridicule, ut non vituperetur ministerium nostrum(1).

475. — Ministère du prêtre, ministère de lumière. D'ailleurs le ministère du prêtre, est, avant tout, un ministère de lumière : " Vos estis lux mundi. " Il va, en premier lieu, à dissiper l'ignorance religieuse qui est la maladie la plus universelle et la plus profonde. Plus les ténèbres sont épaisses — et elles le deviennent plus que jamais — plus puissant doit être l'astre qui s'efforce à les percer de, l'éclat de ses rayons.

476. — Auprès des croyants. Le ministère du prêtre est un ministère de lumière auprès des croyants, dont il doit soutenir et fortifier les convictions. Quand les fidèles savent que leur pasteur est instruit, ils se sentent eux-mêmes beaucoup plus fermes et ne craignent pas les attaques. Le troupeau est tranquille, parce que le berger est fort.

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(1) II Cor. vi, 3.

 

477. — Auprès des incroyants. Le ministère du prêtre est un ministère de lumière auprès des incroyants. En face des attaques dont sa foi est l'objet, le prêtre ^savant se dresse avec majesté, prêt à abaisser toute hauteur qui s'élève contre la Science de Dieu et à réduire en servitude toute intelligence sous l'obéissance du Christ (1).

Ce double rôle du prêtre auprès des croyants et auprès des incroyants, saint Paul l'a très nettement indiqué parmi les conditions requises dans le candidat au Sacerdoce — Qu'on ne choisisse pour le Sacerdoce, dit-il, que celui qui s'attache aux vrais enseignements de la foi, pour qu'il soit puissant à maintenir les bons dans la saine doctrine et à réfuter les contradicteurs (2).

 

 

§ II

Que doit étudier un jeune clerc

pour être complètement fidèle à sa vocation ?

 

478. — Etudier les sciences proprement sacerdotales. Nous répondons aussitôt : les sciences vraiment et proprement ecclésiastiques. Il y a là un champ trop vaste, trop indispensable à cultiver, pour qu'on puisse permettre au prêtre, et moins encore au séminariste, de s'occuper d'autre chose. Chaque carrière a son genre de connaissances appropriées : on pardonnera au médecin de ne savoir pas le droit, pourvu qu'il connaisse la médecine, et à l'avocat de ne pas savoir la médecine pourvu qu'il connaisse le droit.

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(1) Consilia destruentes et omnem altitudinem extollentem se adversus scientiam Dei, et in captivitatem redigentes omnem intellectum in obsequium Christi. II Cor. x, 5.

(2) Oportet enim episcopum... amplectentem eum, qui secundum doctrinam est, fidelem sermonem : ut potens sit exhortari in doctrina sana et eos qui contradicunt, arguere. Tit. 1, 7, 9. — Voir plus bas les considérations sur le sens général de ces recommandations de saint Paul.

 

Il n'y a pas la moindre honte pour le prêtre à ignorer le droit, la médecine, la géométrie, et tant d'autres départements des connaissances humaines, pourvu qu'il soit pleinement imbu de la science qui est proprement celle de son sacerdoce. Homme de Dieu, homo Dei (1), il est constitué intendant es choses divines " Us quæ sunt ad Deum (2) ". La science de Dieu et des choses divines est donc la science propre du prêtre, celle qu'il doit apprendre de préférence à toute autre, par devoir d'état. Et, parce que cette science est, moins que toute autre, susceptible d'être épuisée, jamais le prêtre, jamais le séminariste, ne peut s'arrêter en disant : C'est assez ! Les livres qui lui parlent de Dieu doivent être ses livres de bureau et ses livres de chevet, ses livres vraiment manuels, toujours en main "nocturna versate manu, versate diurna (3) ".

479. — Aliud agentes. Quand on voit des savants s'acharner nuit et jour à la découverte des secrets de la nature, tournant et retournant une vile matière, un insecte obscur, que sais-je ? et soutenus dans leurs recherches par les joies intellectuelles qu'ils éprouvent ; que penser du séminariste obligé par vocation à la plus haute des études, à l'étude de Dieu, et négligeant de regarder un si noble objet, ou s'en déprenant très vite, pour s'occuper d'autre chose ! C'est là un désordre intellectuel, auquel on peut appliquer à la lettre la définition classique du péché : aversio a Deo fine ultimo per conversionem ad bonum commutabile. On détourne son esprit de Dieu, pour l'occuper de niaiseries et de bagatelles ! Notre séminariste, celui dont nous parlons maintenant, celui qui, non content du minimum de science exigé pour le sacerdoce, s'élance généreusement vers le maximum celui-là, certes, ne sera pas de ceux qui, durant les années fécondes de leurs études cléricales, commettent le sacrilège de s'occuper d'autre chose : aliud agentes !

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(1) I Tim. vi, 11.

(2) Hebr. v, 1.

(3) Saint Jérôme applique ce mot d'Horace à la Bible.

 

480. — Programme d'études. Il mettra donc à la base de ses connaissances une solide formation littéraire et philosophique. Aussitôt après, il appliquera toutes ses énergies intellectuelles à l'étude de la théologie dogmatique et morale, faisant marcher de pair, en leur donnant un temps convenable, les Divines Ecritures, les Saints Canons, l'Histoire Ecclésiastique et tout ce qui regarde la liturgie sacrée. Tel est le long programme tracé par l'Eglise à l'activité intellectuelle de ses clercs (1).

 

§ III

Dispositions d'esprit et de cœur avec lesquelles il faut étudier

 

Mais, ce programme, comment notre généreux séminariste va-t-il le parcourir ? Dans quelles dispositions d'esprit et de cœur doit-il s'y appliquer ?

Chers séminaristes, écoutez : Futurs ministres de l'Eglise de Jésus-Christ, votre étude doit avoir les mêmes caractères que cette Eglise même dont vous voulez être les hérauts à travers le monde. Jésus-Christ a ceint le front de son épouse de quatre auréoles, qui sont comme ses notes distinctives, il l'a voulue une, sainte, catholique et apostolique. Telles doivent être également les notes distinctives de votre étude.

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(1) Venerabiles Fratres, in rectam accuratamque cleri institutionem omnes vestras curas convertatis oportet.

Summa igitur contentions omnia conamini, ut in vestris prœcipue Seminariis... clerici... latinœ linguœ cognitione et humanioribus litteris, philosophicisque disciplinis ab omni prorsus cujusque erroris periculo alienis sedulo imbuantur.

Atque in primis omnem adhibite diligentiam ut, cum dogmaticam, tum moralem theologiam, ex divinis libris sanctorumque Patrum traditione et infallibili Ecclesiœ auctoritate haustam ac depromptam, ac simul solidam divinarum litterarum, sacrorumque Canonum, ecclesiasticœ historiœ, rerumque liturgicarum scientiam, congruo necessarii temporis spatio, diligentissime addiscant. " PIE IX Encycl. Singulari quidem, 17 mars 1856.

 

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* *

1° Votre étude doit être une.

Une dans son objet, ne s'occupant que des sciences sacrées ; — nous venons de l'expliquer.

481. — Unité de méthode en ramenant tout aux principes. Une aussi dans sa méthode, Souvenez-vous que toute science digne de ce nom tend à unifier ses connaissances, en les ramenant à des principes premiers dont la clarté se répand de proche en proche, et par cascades étincelantes, jusque sur les conclusions les plus lointaines, Amener les conclusions sous le rayonnement des principes, telle est l'œuvre scientifique par excellence, celle qui distingue l'érudit hérissé de notions chaotiques, accumulées pêle-mêle, du savant véritable chez qui tout est ordonné, harmonisé, simplifié. Soyez donc des esprits à principes, mais à principes surnaturels, à principes divins.

482. — Tout ramener à un principe suprême. Les principes eux-mêmes, réduisez-les progressivement les uns aux autres, jusqu'à ce que vous arriviez enfin à en découvrir un qui les enclora et les soutiendra tous. Peut-être bien que cet axiome suprême auquel vous constaterez que tout se rattache sera celui-ci : Deus caritas est ! Et nos credidimus caritati (1) ! Dogme et Morale, et tout le reste, s'y trouvent renfermés !

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(1) I JOANN. iv, 16.

 

483. — Ramener tous les principes : 1° à Dieu. Vous ne devez pas vous contenter d'unifier vos connaissances sous des principes, ramenés eux-mêmes à un axiome suprême. Un principe, si élevé soit-il, n'est qu'une abstraction froide. Il faut unifier vos connaissances sous un objet concret. Et cet objet c'est Dieu. Ramenez donc tout à Dieu. Saint Thomas vous y invite par ces magnifiques paroles qu'il a gravées comme une devise au frontispice de la Somme théologique : Omnia pertractantur in sacra doctrina sub ratione dei.

484. — 2° A Jésus. Précisez plus encore et unifiez davantage. Il est un Etre en qui toutes choses sont merveilleusement résumées, instaurées, récapitulées (1) ; sorte de confluent mystérieux de toutes les perfections divines en même temps que de toutes les réalités créées : le verbe incarné, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. De ce Verbe tout dérive, et tout parle de lui :ex uno Verbo omnia et Unum liquuntur omnia ; il est lui-même le principe qui nous parle, sans lequel on ne saurait nubien comprendre ni droitement juger : et hoc est principium quod et loquitur nobis, nemo sine illo intelligit aut recte judicat (2).

Ramenez tout à Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, et considérez toutes choses sous le rayonnement de sa riche personnalité : sub ratione jesu.

485. — 3° Au Sacré-Cœur. Mais cette riche personnalité elle-même enferme des trésors considérables; il faut découvrir le- centre où ils s'unissent et d'où ils émanent tous.

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(1) BOSSUET : Oraison funèbre d'Anne de Gonzague ; Ed. Legata habet instaurare textus grœcus fert quod esi recapitulare. Recapitulare autem est proprie ad unum revocare caput, ,et eidem principi subjicere ea quœ ante soluta et divisa erant. " Billot. De Verbo Incarn. th. xviii.

(2) Imit. Christi : lib. I, cap. iii.

 

Cherchez bien, cherchez avec amour, vous trouverez vite : le centre de la personne adorable de Jésus, c'est son Cœur Sacré, in quo sunt omnes thesauri sapientiæ et scientiæ. Dans vos études, ramenez donc tout au Sacré-Cœur, comme au principe concret qui soutient et explique tout. Ainsi le principe abstrait : Deus caritas est, que nous avions déjà adopté, viendra se vivifier au contact du Sacré-Cœur, principe concret que nous venons de découvrir. Et les deux se fusionneront en un seul : l'Amour de Jésus auquel il vous faudra croire, qu'il vous faudra aimer, dont il faudra vous embraser : Et nos credidimus caritati !

486. — 4° A l'Hostie. Est-ce tout, et n'est-il pas possible d'unifier encore plus vos études ? Oh ! ne vous arrêtez pas encore. Ce Jésus dont vous voulez faire le centre de vos connaissances, ce Sacré-Cœur dont les flammes vous attirent, allez le chercher là où il est. Il est au ciel et au Saint Sacrement de l'autel. Ne pouvant encore l'appréhender jusque dans le ciel, emparez-vous de lui dans l'Hostie consacrée, et que l'Hostie consacrée, riche de tout Jésus, foyer de son Sacré-Cœur, devienne le centre réel de lumière et de chaleur divines, où vous tiendrez sans cesse vivifier, unifier et embraser vos études sacerdotales, ces études par lesquelles vous vous préparez à devenir d'autres Christ.

487. — Dans l'Hostie toute la théologie est condensée et vivante. Etudiez-vous le traité De Deo Uno ? L'objet de votre étude est dans l'Hostie consacrée ; car Jésus est vrai Dieu.

Etudiez-vous le traité De Deo Trino ? L'objet est là, encore ; car Jésus est le Verbe, deuxième personne de la Sainte Trinité, et à cette personne directement présente sous les espèces sacramentelles les deux autres sont inséparablement jointes, en vertu de la circumincession.

Passez-vous au traité De Deo Creante, De Deo Elevante. Dieu auteur de la nature, Dieu auteur de la grâce est là.

Le traité De Verbo Incarnato Et Redemptione vous amène, comme par une douce contrainte, au tabernacle. Le Verbe incarné, le Verbe Sauveur est là avec sa personnalité divine peuplée de deux natures ; il y est avec sa science adorable, sa plénitude de grâces, sa puissance ; il y est dans l'exercice de son perpétuel Pontificat, de sa Médiation toute-puissante ; il y est avec le signe de la mort, reproduction mystique du drame Rédempteur.

Par le traité De Gratia, c'est encore à l'Eucharistie que vous devrez aller puiser ; car là se trouve la source et le réservoir universel de tous les dons célestes :de plenitudine ejus nos omnes accepimus, et gratiam pro gratia (1).

Dans le traité De Sacramentis, l'Eucharistie vous offrira l'Auteur des Sacrements et le plus efficace, le plus auguste des sept symboles sacrés qui tous émanent de Lui.

Il en est ainsi de toutes les thèses de la dogmatique ; pas une qu'on ne puisse étudier sous le rayonnement de l'Hostie.

Et il en va de même de toutes les questions de Théologie Morale et de Législation Canonique ; car le Législateur de la nouvelle alliance est là, comme sur un autre Sinaï — mais combien moins terrible ! — édictant lui-même chaque précepte, provoquant à l'exercice de toutes les vertus, et nous montrant son Cœur, comme l'Arche sacrée qui contient la loi chrétienne, vraie loi d'amour :

Cor arca legem continens ;

Non servitutis veteris

Sed gratiæ, sed veniæ

Sed et misericordiæ (2).

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(1) JOANN. 1, 16.

(2) Hymne des Laudes: Office du Sacré-Cœur.

 

Quand vous ouvrez les Divines Écritures, la Bible, c'est-à-dire le Livre par excellence, dites-vous : c'est Jésus qui me parle par ce livre ; ces mots, c'est Lui qui les a écrits pour moi ; c'est le Verbe éternel qui à formé ces verbes humains, comme autant d'écrins précieux, dont chacun renferme une parcelle de Vérité Suprême. Et c'est pourquoi l'on appelle la Bible les Saintes Lettres, parce que, dit saint Augustin, elle contient ces lettres embrasées, lifteras amoris, que l'Amour divin, le Sacré-Cœur, adresse aux hommes pour les exciter à lui rendre amour pour amour.

La Liturgie, avec ses cérémonies symboliques et majestueuses, ses prières touchantes, son Chant Sacré, vous l'étudierez 'également en vue de Jésus-Eucharistie ; car il n'est rien en elle qui ne le vise ; tous ses rites tendent vers l'Hostie, comme à leur centre de convergence tous ses cantiques célèbrent le Sauveur caché sous les Saintes Espèces.

Lauda Sion Salvatorem

Lauda ducem et pastorem

In hymnis et canticis.

l'Histoire ecclésiastique enfin, vous la considérerez comme un vaste théâtre dont Jésus-Christ, présent dans l'Hostie, est le personnage principal. C'est lui qui, du fond de son tabernacle, dirige les affaires humaines et tient les fils les plus secrets de tous les événements. L'histoire, étudiée à ce point de vue, le seul complet et synthétique, s'éclaire d'un jour nouveau, et l'on constate l'exacte vérité de ces paroles de saint Paul : Jésus-Christ est tout en toutes choses ; omnia et in omnibus Christus (1) ; car tout existe par Lui et pour Lui : Christus, per quem omnia et nos in ipsum (2) ; tout repose sur Lui : omnia in ipso constant (3).

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(1) Colos. iii, 11.

(2) I Cor. viii, 6.

(3) Colos. i, 17.

 

Telle est, cher Séminariste, la méthode à employer pour que votre étude soit une.

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* *

2° Après cela, pensez-vous qu'il vous sera difficile De La Rendre Sainte ?

488. — Etudier dans la pureté. Jésus lui-même vous y conviera sans cesse. Il vous dira tout d'abord : "Mon enfant, si tu veux me bien connaître, sois pur; car bienheureux les cœurs purs ; ils sont mieux disposés à voir Dieu et les choses de Dieu : Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt: " Vos études, ô jeune clerc, devront être pour vous une invitation continuelle à vous élever toujours plus haut dans la pureté.

489. — Avec humilité, en priait. Jésus vous dira encore : " Mon enfant, si tu veux me bien connaître, sois humble et prie. Le téméraire qui prétend scruter de son regard humain les secrets de la Majesté divine, je l'aveugle aussitôt en l'opprimant sous le poids de ma gloire (1). Sois humble et implore mes lumières, car c'est par elles seulement que tu pourras dresser ton regard vers Celui qui est la Lumière même. In lumine tuo videbimus lumen (2). Sois humble, si tu veux voir; les esprits orgueilleux sont frappés de cécité, car :

Dieu ne s'abaisse point à des âmes si hautes.

490. — En pratiquant ce que l'on croit. Jésus ajoutera enfin : " Mon enfant, si tu veux faire des progrès sérieux et rapides dans les sciences sacrées, applique-toi à les traduire dans ta conduite.

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(1) Qui scrutator est majestatis, opprimetur a gloria. Prov. xxv, 27 — Eccl. iii, 22.

(2) PS. xxxv, 10.

 

Mes paroles sont esprit et vie, verba mea spiritus et vita sunt (1) ; on ne se les assimile par l'esprit que pour autant que l'on consent à les vivre. Or il faut les vivre sous peine de n'y rien comprendre, ou bien peu. Il faut les goûter pour les bien voir : gustate et videte (2).

Ainsi vous parlera Jésus.

Vous n'oublierez donc pas, cher candidat du sanctuaire, que la théologie est à la fois spéculative et pratique. Ne la retenez donc pas captive sur les sommets de la spéculation pure, à la pointe suprême de l'esprit.

Comme ces eaux qui des lacs bleus et ensoleillés des montagnes glissent par mille canaux invisibles pour s'en aller au loin arroser et féconder les plaines, la théologie, la vraie, veut, elle aussi, se répandre au delà de l'intelligence, circuler dans votre vie et posséder famé tout entière. Intelligence, volonté, cœur, imagination, sensibilité, activité extérieure, elle envahit tout, elle s'empare de tout. Avec Bossuet elle dit : " Malheur à la science qui ne se tourne pas à aimer " ; et elle ajoute : " malheur à l'amour qui ne se tourne pas à agir ", car la fécondité des œuvres est la preuve du véritable amour, comme l'amour de Dieu est la preuve de la vraie science. " Probatio dilectionis exhibitio est operis (3)."

Selon une belle parole de saint Augustin, le théologien complet s'adonne aux choses éternelles, aux réalités surnaturelles et divines, non pour les considérer seulement, mais encore et surtout pour y chercher conseil et y prendre la règle de sa vie " intendit æternis conspiciendis et consulendis ".

Et c'est pourquoi le séminariste qui veut être vraiment et pleinement théologien — comme tout séminariste doit le vouloir — se préoccupe d'animer de théologie toujours plus profonde ses méditations, ses lectures spirituelles, ses discours ses conversations, tous ses actes, toutes ses pensées. Cent fois le jour il répète à son âme : " Je veux être prêtre pour connaître Dieu et le faire connaître, pour aimer Dieu et le faire aimer, pour servir Dieu et le faire servir. Je veux être prêtre pour sauver mon âme immortelle en sauvant des âmes immortelles. Je veux être prêtre pour conquérir Dieu en apprenant aux autres à le conquérir. "

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(1) JOANN. vi, 64.

(2) PS. xxxi, 9.

(3) Saint Grégoire Le Grand, Hom. 3e sur les Evangiles.

 

En vivant ainsi votre étude, vous irez à la vérité non pas avec l'esprit seul, mais de tout votre cœur, avec toute votre âme.

Etudier en tout et voir en tout le Sacré-Cœur, vivant dans l'Hostie, c'est, avons-nous dit, le secret de l'unité à mettre dans vos études.

Etudier de tout votre cœur, vivre du Sacré-Cœur, fusionner de plus en plus votre vie avec la vie eucharistique, dévorer tous les jours avec une avidité croissante le volume sacré de l'Hostie, comede volumen istud (1), c'est le secret de la Sanctification de vos études.

491. — L'étude doit être catholique, conquérante. 3° Votre Étude Sera Catholique.

L'Eglise est appelée catholique, à cause de cette force d'expansion conquérante, dont son divin Fondateur l'a animée. Votre étude aussi sera conquérante, c'est-à-dire ordonnée et orientée vers les futures conquêtes de votre zèle. Vous devez, dès le Séminaire, travailler pour les âmes qui vous seront un jour confiées.

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(1) EZECH. III, 1.

 

492. — Stimulant efficace : les âmes qui attendent la lumière. Cette pensée est un des stimulants les plus efficaces dont vous puissiez soutenir la constance et l'ardeur de votre application; Dites-vous souvent : " Bientôt, dans quelques années qui passeront très vite, trop vite ! dans quelques mois seulement peut-être, j'aurai charge d'âmes. Des intelligences chrétiennes viendront s'éclairer à la lumière de mes catéchismes et de mes sermons ; des consciences chrétiennes viendront se faire guider, diriger, par ma main novice. Bientôt je pourrai être mis en demeure, chaque jour, à tout instant, de répondre aux difficultés les plus embarrassantes, de résoudre les cas de morale les plus épineux, de dénouer ou démêler les états d'âme les plus compliqués, les plus délicats... Et j'aurais maintenant l'audace sacrilège de perdre mon temps et de me vanter que j'en saurais toujours assez !

Ah ! l'ignorance chez les prêtres, leur ignorance devinée, sentie, découverte par les fidèles, de quelles tristes conséquences n'est-elle pas la cause ! Que d'âmes qui ne trouvent pas en leurs pasteurs les lumières qu'elles ont droit d'y chercher !

493. — Ne pas perdre le temps. Etudiez donc, chers séminaristes, étudiez sans relâche, en vue de ces âmes qui vous attendent. Cette heure que vous êtes en train de gaspiller va projeter sur votre esprit une ombre noire, une ignorance, une erreur, contre laquelle telle ou telle âme viendra un jour se heurter et échouer. Pensez-y !

494. — Travailler en proportion de ses talents. Pensez aussi que vous devez travailler selon vos moyens. Si Dieu vous a donné une intelligence brillante, vous n'avez pas le droit, non ! vous n'avez pas le droit de vous contenter des résultats demandés à tous, exigés de ceux-là même qui se trouvent au dernier degré. Dieu vous impose l'obligation de faire fructifier tout le bien que vous avez reçu : si vous avez reçu un talent, vous devez en fournir un autre ; si deux talents, on vous en demandera deux : si cinq talents, cinq nouveaux talents vous seront réclamés.

495. — Ne pas renvoyer à plus tard. Et ne vous flattez pas que vous serez toujours à temps plus tard de compléter vos connaissances. Plus tard, il est vrai, vous trouverez des loisirs à consacrer à l'étude. Mais aurez-vous le courage de vous y appliquer, alors que rien plus ne vous y poussera, si, au Séminaire, vous vous dérobez aux contraintes morales de la règle qui vous impose le travail et si vous vous raidissez contre tous les stimulants de labeur ?

Les loisirs, d'ailleurs, se feront de plus en plus rares, à mesure que votre ministère croîtra en importance; et viendra très vite le moment où vous ne vivrez guère que du savoir déjà acquis, comme un malade qui ne se nourrit plus que de sa propre substance. Quand sera venu ce moment où vous ne pourrez plus étudier, il vous importera souverainement d'avoir su étudier autrefois (1).

Travaillez donc maintenant, travaillez pendant votre belle jeunesse, et ne compromettez point par avance, au printemps de votre vie, les fruits de l'automne.

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* *

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(1) Un Supérieur du Séminaire français de Rome disait finement a ses séminaristes : " Travaillez, chers amis, tant que vous êtes ici. Plus tard, vous serez pourvus peut-être de ministères importants, qui vous empêcheront d'étudier autant qu'il le faudrait pour les rempril avec fruit. Quand on arrive à ces postes : doyen, archiprêtre vicaire général, que sais-je? À ces postes absorbants où l'on ne peut pas étudier, il importe d'avoir beaucoup étudié autrefois : oportet studuisse ! " Reflexion fort juste sous son apparence humoristique!

 

496. — Ecouter l'Eglise, continuatrice des Apôtres. 4° Enfin, Que Votre Étude Soit Apostolique.

La véritable Eglise est dite apostolique, en tant qu'elle repose, par une série ininterrompue de pasteurs légitimes, sur les Apôtres eux-mêmes et, par les Apôtres, sur Jésus-Christ.

Notre façon à nous d'être apostoliques, c'est donc de nous soumettre d'esprit, de volonté, de cœur, à cette hiérarchie d'institution divine. Ainsi nous faisons partie de l'édifice et nous reposons sur le vrai fondement (1).

C'est de là en particulier, chers séminaristes, que vous devez tirer les principes et toutes les idées directrices de vos études.

Souvenez-vous toujours qu'il y a dans l'Eglise un magistère doctrinal, foyer de lumière, officiellement constitué pour enseigner au nom du ciel, par délégation de la Vérité même. Tous doivent recevoir avec docilité entière l'enseignement donné par ces infaillibles représentants de Jésus-Christ. Vous appartenez à l'Eglise enseignée, ne l'oubliez jamais.

Dans toutes les questions de doctrine, votre premier soin sera de vous demander : que pense là-dessus l'Eglise enseignante ? Et, sans doute, les écrits patristiques, surtout les Saintes Lettres, vous seront d'un grand secours pour vous éclairer. Mais vous risquez de prendre souvent à contre-sens les textes de la tradition et plus encore les textes scripturaires. Entre eux et vous, Dieu a placé un interprète autorisé, chargé de vous en préciser la signification, et infaillible dans cet office de lumière : c'est la Sainte Eglise. Ecoutez donc, en premier lieu, l'Eglise, colonne et soutien de la vérité : columna et firmamentum veritatis (2).

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(1) Superœdificati super fundamentum Apostolorum et Prophetarum, ipso summo angulari lapide Christo, Jesu. (Ephes. ii, 20).

(2) I Tim. iii, 15.

 

497. — Ce qu'il faut recevoir de l'Eglise. De l'Eglise recevez les décisions solennelles qui ont fixé, en phrases lapidaires, divers points de doctrine, et les enseignements plus développés qui en expliquent le sens.

D'elle recevez les Divines Ecritures, dont elle vous garantit — et elle seule peut le faire — l'origine divine d'abord, le vrai sens ensuite.

D'elle recevez les écrits des Pères, dont elle vous vante la doctrine ; et les chefs-d'œuvre de la théologie, qu'elle vous recommande comme plus sûrs, comme plus efficaces contre les erreurs.

D'elle, enfin, acceptez et recherchez les impulsions et directions intellectuelles, toutes, si minimes qu'elles soient. En la suivant, vous voguerez toujours dans un sillage de lumière.

Ah ! ne vous contentez donc pas, envers l'Eglise enseignante, d'une docilité réduite au minimum, aux seules définitions ex cathedra. Vous imiteriez en matière de foi celui qui, en matière de morale, ose se permettre tout ce qui n'est pas évidemment péché mortel. L'une et l'autre témérité sont punies à bref délai de semblables chutes : ici, chute morale dans, le péché grave ; là, chute doctrinale dans l'hérésie proprement dite.

Cherchez en tout et pour tout à penser comme l'Eglise, avec l'Eglise, sentire cum Ecclesia ; vous ne vous égarerez jamais.

498. — Suivre les directions doctrinales de l'Evêque. Cette docilité entière montres-là encore en vous soumettant aux enseignements des Evêques, de votre Evêque, aussi longtemps qu'il ne vous apparaît pas avec certitude qu'ils sont en opposition avec ceux du Souverain Pontife.

Tout Evêque est, de droit, membre de l'Eglise enseignante : séminaristes, prêtres sont de l'Eglise enseignée.

Exercez-vous encore à la docilité intellectuelle,, en, acceptant simplement, et jusqu'à preuve du contraire, les leçons de vos professeurs qui vous instruisent par délégation de l'Evêque... Cette loyauté, bien loin de nuire à vos progrès, en assurera le développement normal et vous sauvera des naufrages.

499. — Se garder des faux docteurs. Docile envers ceux qui ont mission d'enseigner, vous vous montrerez, par contre, absolument indépendant vis-à-vis des autres, et vous ne mériterez jamais ce reproche de saint Paul : " Je m'étonne que vous vous laissiez détourner si vite de celui qui vous a appelés en la grâce de Jésus-Christ, pour passer à un autre Evangile : non certes qu'il y ait un autre Evangile ; seulement il y a des gens qui vous troublent, nisi sunt aliqui qui vos conturbant, et qui veulent pervertir l'Evangile du Christ, et volunt pervertere Evangelium Christi. Mais quand nous-mêmes, quand un ange du ciel vous annoncerait un autre Evangile que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème (1)."

Gardez-vous, élèves du sanctuaire, gardez-vous de ces brouillons qui troublent tout : qui vos conturbant ; gardez-vous de vous mettre à la remorque de certains docteurs d'aventure, ou de tels et tels laïques sans mandat, qui prétendent connaître et interpréter les doctrines de l'Eglise bien mieux que les chefs de l'Eglise eux-mêmes. Gardez-vous de ceux qui essaient de vous soustraire plus ou moins aux influences de la véritable Eglise, pour vous enchaîner à leur petite Eglise à eux et, là, vous imprégner d'un esprit qui n'est pas l'esprit de Dieu, en vous infusant une âme qui ne rend pas le son franc et loyal de l'âme vraiment, totalement catholique. Cum ejusmodi nec cibum sumere(2). Ce n'est pas chez ceux-là que vous irez chercher l'aliment de votre esprit.

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(1) Gal. 1, 6-8.

(2) I Cor. v, ii.

 

 

CHAPITRE III

La Sainteté convenable

Oportet ergo Episcopum irreprehensibilem esse... Justum, sanctum...

500.— La sainteté des clercs. Pour terminer notre étude sur les qualités requises dans les candidats à la vocation, il nous reste à parler de la sainteté des clercs.

Tout a été dit, et par des Maîtres, sur ce sujet de très haute importance. Nous nous bornerons à exposer les points principaux, en demeurant toujours fidèle à notre but qui est de préciser, aussi nettement que possible, les conditions d'idonéité absolument indispensables chez les séminaristes, pour qu'ils aient le droit de demander l'appel divin ou de l'accepter.

C'est le minimum.

Après quoi nous essaierons de donner une idée du maximum à poursuivre.

Maintenant donc — après avoir parlé du minimum et du maximum de l'intention droite, du minimum et du maximum de la science — il s'agit d'aborder l'étude du minimum et du maximum de sainteté dans les clercs.

501. — Un principe de saint Thomas. Cette sainteté, saint Thomas la désigne d'un mot bien humble : bonitas vitæ ; il semble ne la faire consister que dans l'absence du péché mortel chez l'ordinand (1).

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(1) S. Thomas. Supplem. q. xxxvi art. 1, in corp.

 

Mais un peu plus loin il énonce un principe qui éclaire d'un jour nouveau la question : c'est à savoir que l'évêque qui ordonne est obligé d'acquérir une véritable certitude sur les; qualités des clercs, selon l'élévation de l'Ordre qu'il se propose de leur conférer (1).

502. — Doctrine de saint Paul. Saint Paul paraît, lui aussi,. ne faire consister la sainteté des aspirants au sacerdoce que dans l'absence du péché : " Il faut, dit-il, que celui qui désire l'Episcopat ou le presbytérat, soit sans reproche : oportet ergo Episcoporum... irreprehensibilem esse ; — qu'il soit exempt de crime, sine crimine esse (2).

Et, entrant ensuite .dans le détail des conditions morales que ces termes généraux renieraient, il n'exige, semble-t-il, que des qualités négatives: sobrium, pudicum, non vinolentum, non litigiosum etc.,. Mais, à .y regarder de plus près, on arrive à constater que l'Apôtre trace un programme complet de sainteté cléricale, bien qu'on doive accorder qu'il insiste davantage sur les qualités négatives qui sont comme le minimum de cette sainteté.

C'est donc avec saint Paul pour guide que nous allons donner une esquisse de la sainteté que l'Evêque et les Directeurs de Séminaire doivent exiger et promouvoir chez leurs séminaristes.

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(1) Ad minus hoc requiritur quod nesciat ordinans aliquid contrarium sanctitati in ordinando esse : sed etiam exigitur amplius ut secundum mensuram ordinis vel officii injungendi diligenter cura apponatur, ut habeatur certitudo de qualitate promovendorum, saltem ex testimonio aliorum. — Et hoc est quod Apostolus dicit (I Tim. v, 22). " Manus cito nemini imposueris. "

(2) I Tim. iii, 2 — ad Tit i, 7.

 

ARTICLE I

Le Sainteté convenable : Son minimum

§ I. Principes généraux.

Oportet Episcopum... irreprehensibilem esse.

 

503. — Saint Paul semble n'exiger que des vertus naturelles. Chose étonnante, la plupart des vertus que saint Paul réclame chez les clercs, sont des vertus naturelles, c'est-à-dire qui ne dépassent pas, d'elles-mêmes et par leur essence propre, l'ordre et les forces de la nature.

Elles se ramènent à la tempérance, à la douceur, à l'urbanité, à la prudence, à la générosité etc... sobrium, ornatum, modestum, prudentem. — Certaines même, par leur énoncé, semblent injurieuses envers l'ordre sacerdotal : non vinolentum, non percussorem, non litigiosum.

504. — A qui s'adressent ses avis. A ce propos, qu'on nous permette une remarque qui a son importance. Saint Paul, dans ses recommandations, à Timothée et à Tite, ne parte pas de ceux qui sont déjà évêques, prêtres ou diacres, mais de ceux qu'il est interdit de choisir pour le saint ministère (1). Il faut donc traduire .ainsi les textes précités : " Celui qui désire le .sacerdoce a un bon désir ; mais il est nécessaire que l'aspirant au sacerdoce soit sans reproche ; il ne doit pas être querelleur, intempérant, etc... ; il doit être sobre, modeste, de bonne tenue etc. "

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(1) Cf. Bible de Drach in i ad Tim. iii, 3.

 

505. — Nécessité préalable des vertus naturelles comme " substratum " des autres. Cette réserve faite, il ne nous déplaît nullement de constater que la plupart des conditions exigées par l'Apôtre se ramènent à l'honnêteté naturelle qui doit être à la base de la sainteté cléricale, comme à la base de toute sainteté.

N'est-il pas tout aussi remarquable de voir avec quelle insistance nos Evêques appuient sur cette nécessité des vertus naturelles, de la simple honnêteté, chez leurs séminaristes ?

Qu'on cultive les qualités morales naturelles chez le futur prêtre, disent-ils. Il ne sera bon prêtre un jour que dans la mesure où vous en aurez fait un honnête homme. Où les vertus naturelles font défaut, les vertus surnaturelles ne peuvent éclore. Les qualités naturelles sont les meilleurs supports et les plus fermes remparts des vertus surnaturelles. On l'oublie quelquefois. Il est même arrivé que, par une étrange erreur, on a considéré la piété, une piété de surface, comme un signe décisif de vocation. C'est à ce propos qu'un vénérable Supérieur, M. Mollevault, disait jadis : " Chez ceux-là, l'ange tombe, la bête reste. " Il y a incompatibilité entre la grandeur du sacerdoce et la bassesse du caractère (1).

" Ma conviction bien arrêtée, dit Mgr Le Camus, est que cette simplicité ou honnêteté naturelle doit être inscrite la première sur le certificat de celui qu'on vous présente (pour le Séminaire) ; car, si elle n'est pas innée, il sera difficile de l'acquérir, et on risque fort de multiplier dans le sanctuaire la race détestable et dangereuse des rusés, des intrigants, des sournois et des trompeurs. On sait comment Jésus flagella les Pharisiens et le souci qu'il eut de choisir

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(1) Recrutement sacerdotal, passim.

 

ses auxiliaires en dehors des hypocrites et des menteurs, en sorte que s'il fallait qualifier le groupe des Apôtres et des Disciples on devrait dire qu'il fut, avant tout, le groupe des honnêtes gens (1).

" Quand l'âme du candidat séminariste ne rend pas d'abord le son de l'honnêteté, fermez-lui la porte."

" ...Je vous supplie, recommande le même Evêque aux Directeurs de Séminaire, de faire épanouir, sous toutes ses formes, la vertu d'honnêteté, ne tolérant sur .ce point rien d'incomplet, rien de douteux, chez celui qui veut être prêtre. Si vous voyez en lui une tendance native et inconsciente au mensonge, à la déloyauté, à l'hypocrisie, éprouvez, tentez, et si la réponse à l'épreuve n'est pas toute satisfaisante, n'insistez pas en comptant sur une transformation future. Au contact du monde et de sa malice, cette transformation ne viendra pas, ou elle ne sera que passagère : cum justis non scribantur. "

" N'allez pas risquer d'introduire dans le sacerdoce des hommes qui peuvent n'avoir pas le respect scrupuleux du bien d'autrui, bien, pourtant, remis à leur sollicitude comme un dépôt sacré — des hommes, qui ne craindraient pas d'abuser de leur influence pour rechercher ou même capter des héritages — des hommes âpres au gain et prêts à dévorer le troupeau qu'ils doivent nourrir — des hommes dont la parole d'honneur ne vaudrait pas toujours un contrat ; des jaloux, des méchants, capables de se faire inspirateurs ou même auteurs anonymes de ces lettres diffamatoires qui sont la honte du clergé — des lâches qui, même quand ils n'auront rien du prêtre, se respecteront assez peu pour ne pas renoncer au sacerdoce.

" L'Eglise nous crie : ab homine iniquo et doloso erue me.

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(1) Le seul apôtre indigne a péché premièrement contre une vertu naturelle, la justice : " quia fur erat ". Joann. xii, 6.

 

Si vous voyez dans le cœur du Séminariste, même le plus régulier, le plus fervent, le plus intelligent, des éléments qui vous fassent craindre pour son honnêteté future, dites-lui avec douleur, mais sans hésiter, qu'il n'est pas pour l'Eglise (1)."

11 faut donc, en premier lieu, que les séminaristes qui désirent le sacerdoce, soient sans reproche au point de vue de l'honnêteté naturelle ; que leur conscience ne soit pas chargée de quelque crime, ni leur âme de quelque mauvaise habitude contraire à la loi naturelle.

Oportet ergo Episcopum irreprehensibilem esse... sine crimine esse…

A la suite de l'Apôtre entrons dans quelques détails.

 

§ II

 

506. — Détail des conditions de moralité. Les défauts qui écartent du sacerdoce, et les qualités exigées pour les augustes fonctions de l'autel, saint Paul les énumère en détail dans les deux passages, plusieurs fois cités, des épîtres à Timothée et à Tite (2).

De ces deux témoignages, en laissant de côté ce qui regarde la science, il est permis d'extraire un ensemble de conditions morales, négatives et positives, dont la plupart se ramènent, ainsi que^nous l'avons déjà observé, à l'honnêteté naturelle, et peuvent fort bien se ranger d'après l'ordre même des préceptes du décalogue. Nous commencerons par les sept derniers, ceux qu'on appelle de la deuxième table, et qui règlent les devoirs de l'homme envers ses semblables. L'Apôtre lui-même nous fait un devoir de commencer par ceux-là, parce qu'il y insiste beaucoup plus longuement.

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(1) Mgr. Le Camus. Lettre sur la formation ecclésiastique des Séminaristes. 24 août 1902.

(2) I Tim. iii, 1-13. — Ad. Tit. i, 5-11.

 

Voici l'ordre que nous proposons :

4e PRÉCEPTE : Non superbum.

5e PRÉCEPTE : Ornatum.... non percussorem sed modestum ; non iracundum... sed benignum.

6e et 9e PRÉCEPTES : Pudicum... continentem... sobrium... non vinolentum — diaconos similiter pudicos... non multo vino deditos.

T et 10e PRÉCEPTES : Hospitalem.... non cupidum, sed suæ domui bene præpositum... non turpis lucri cupidum ; diaconos.... non turpe lucrum sectantes.

8e PRÉCEPTE : Non litigiosum:.. prudentem... testimonium habere bonum ab iis qui foris sunt.

PRÉCEPTES DE LA PREMIÈRE TABLE ET PRÉCEPTES SURNATURELS :

Justum... sanctum...

 

§ III

Non superbum.

507. — Nécessité de l'obéissance. Le quatrième précepte du décalogue, de ce code de l'honnêteté naturelle, prescrit le respect envers les parents, les supérieurs légitimes, les autorités constituées.

En entrant volontairement au Séminaire, le clerc contracte, par le fait même, l'obligation d'obéir aux supérieurs qu'il y trouve ; et, plus tard, en acceptant le sacerdoce, il promettra respect et soumission à l'évêque du diocèse (1).

Tout séminariste est donc engagé, sous une discipline sacrée, sous une hiérarchie de droit divin. Il doit la reconnaître, la respecter, en observer les prescriptions. Tout séminariste, tout prêtre doit être un homme d'obéissance. S'il n'est pas capable d'obéir, qu'il ne s'engage donc pas dans une milice dont la principale force est la cohésion, l'union de tous, sous le commandement respecté des mêmes chefs, qui parlent au nom de Dieu.

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(1) Promittis mihi et successoribus meis reverentiam et obedientiam ? Promitto. (Cérémonial des Ordinations).

 

508. — En quoi consiste l'obéissance. L'obéissance consiste dans la soumission aux ordres qui émanent des supérieurs légitimes, à tous les ordres sans exception, à moins qu'ils ne soient évidemment contraires à quelque loi supérieure. Dans les cas douteux, il faut encore obéir, parce que le premier respect que l'on doit aux Supérieurs, c'est de penser, à moins de preuves évidentes à l'encontre, qu'ils sont honnêtes et savent ce qu'ils font : c'est le sens de l'adage formulé par l'antique sagesse : Præsumptio stat pro superiore.

509. — Le superbe ne sait pas obéir. Cette obéissance ponctuelle, totale, le superbe n'en saurait porter le fardeau. Sa tendance habituelle est de se placer au-dessus des règles et des lois, comme s'il était supérieur aux unes et aux autres. Superbire dicitur quasi ire super, disent les étymologistes. Et Saint Thomas ajoute : Est superbe quiconque prétend marcher au-dessus de sa position " qui enim vult supergredi quod est, superbus est (1) ".

Or, dit saint Paul, il importe que le candidat au sacerdoce ne soit pas superbe : Oportet episcopum... non superbum esse (2).

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(1) IIa IIæ q. 162, a. 1.

(2) Qu'on veuille se rappeler la remarque déjà faite précédemment, h savoir que saint Paul, en ces passages, indique les qualités que doivent avoir ceux qui désirent le sacerdoce. Qui episcopatum desiderat.

 

Il faut donc que le clerc en marche ascensionnelle vers l'autel, rejette de son cœur les tendances qui le pousseraient à désobéir, à se rebeller contre les règles et contre ceux qui les promulguent ou en pressent l'observation. Parmi les douze degrés de superbe énumérés par saint Bernard, nous trouvons précisément l'esprit de révolte " rebellio ", et cette liberté licencieuse qui ne se plaît qu'à suivre ses volontés propres. " Libertas, per quam scilicet homo delectatur libere facere quod vult (1)."

510. — A quels signes se reconnaît le superbe indiscipliné. Au Séminaire le superbe se reconnaît facilement. Il n'observe la règle que lorsqu'elle ne le gêne pas ; mais dès qu'elle s'oppose à un caprice, à une envie du moment — envie de parler, envie de sortir, envie de flânerie, envie de lectures interdites, etc., etc. — elle ne compte plus. Il n'aime pas les supérieurs ; leur autorité lui est à charge, car ils le trouvent en faute et cela l'irrite. Il qualifie d'espionnage la vigilance qui est pour eux un devoir d'état, et il soupire après le jour où il pourra secouer leur joug détesté.

En attendant, il ne perd aucune occasion de les critiquer, soit au Séminaire, soit pendant les vacances. Tout lui est prétexte pour cela et il est porté à interpréter en mal leurs paroles ou leurs démarches les plus innocentes. S'il est ancien dans la maison, il affecte des airs plus dégagés et se donne des allures d'indépendance devant les jeunes, les scandalisant et les portant, par ses mauvais exemples, à perpétuer dans la communauté l'esprit d'indiscipline et de désordre.

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(1) IIa IIæ q. 162, a. 4 ad. 4.

 

511. — Déloyauté de son attitude. Ce séminariste, atteint de superbe, est un être déloyal. Le jour où il s'est acheminé vers le Grand Séminaire, il savait ce qu'il faisait. Il y a trouvé un règlement qu'on lui a présenté comme obligatoire pour ceux qui entrent et veulent demeurer. On lui a dit expressément, ou en termes équivalents, qu'il était libre d'entrer ou de rester chez lui, mais que, s'il entrait volontairement, il prenait, par le fait même, l'engagement d'honneur d'observer les règles en usage dans l'établissement qui lui ouvrait ses portes : que si ces règles lui pesaient trop, il lui serait toujours loisible de s'en aller ; aucune contrainte ne le retiendrait. Une seule chose lui est interdite : c'est de rester en violant la règle. Et lui prétend rester et, en même temps, violer la règle, chaque fois que la règle lui déplaît.

512. — Il faut l'écarter du sacerdoce. Quand cet esprit d'indiscipline est poussé à un certain degré, on doit rendre au jeune homme le service inappréciable de le remettre dans les voies du siècle, car le prêtre doit obéir toute sa vie ; l'obéissance est sa force, elle est sa sauvegarde. Que s'il est mordu au cœur par des sentiments d'indépendance présomptueuse, les prescriptions du Souverain Pontife, de son Evêque, de ses autres supérieurs, lui paraîtront très lourdes à porter ; il les critiquera ; il les éludera. Si on le presse par la menace des peines canoniques, il marchera par force, en rongeant le frein, jusqu'au jour où, trouvant une issue favorable, il jettera la soutane et violera tous ses vœux.

Si les circonstances le contraignent à rester dans le sacerdoce, il s'y trouvera très malheureux ; il souffrira toute sa vie et fera souffrir, parce qu'il n'est pas dans sa vraie vocation.

 

 

§ iv

Ornatum... non percussorem, sed modestum : non iracundum... sed benignum.

 

513. — Avoir un bon caractère. L'aspirant au sacerdoce ne doit être ni querelleur, ni porté aux violences et aux sévices, tous défauts opposés au cinquième commandement de la loi naturelle. Par là saint Paul indique la nécessité de ce qu'on appelle un bon caractère — ornatum, modestum, benignum.

514. — Le séminariste de mauvais caractère. Le séminariste de mauvais caractère, se reconnaît à son air suffisant et même dédaigneux. Dans les rapports avec ses condisciples, il affecte une supériorité hautaine. Il ne supporte pas la contradiction. Dès qu'elle se produit, et son arrogance a le don de la provoquer, il s'emporte, il s'irrite ; avec lui une discussion calme devient très vite impossible ; elle dégénère aussitôt en dispute, en injures, en excès de toutes sortes. Dans les conversations ordinaires, il est mordant, railleur, il cherche la chose, le mot, l'allusion, qui peuvent toucher quelqu'un au point sensible et le blesser plus cruellement ; et aussitôt il leur lance le trait, sans ménagement, sans pitié : percussorem ! ! !

Pour son propre compte, il est d'une susceptibilité ombrageuse ; il est enclin à prendre en mauvaise part les paroles, les sourires, les gestes les plus inoffensifs. Toujours sur ses gardes, toujours sur l'œil, on ne sait comment traiter avec lui, et, quand on l'aborde, on ignore si on recevra de lui une gentillesse ou un affront.

515. — Nécessité de corriger le caractère. Ces sortes de caractères, s'ils ne se corrigent pas notablement, sont absolument impropres au ministère sacerdotal, où la douceur et la patience sont si nécessaires pour supporter les travers, les défauts des paroissiens, pour ne pas leur être à charge, pour ne pas les blesser. Une parole injurieuse aliène les cœurs, souvent pour toujours. Oh ! ce n'est donc pas au prêtre à user de procédés hautains et violents, surtout aujourd'hui avec les idées égalitaires qui règnent partout et indisposent contre toute autorité.

C'est bien plutôt son rôle de savoir beaucoup souffrir de la part des fidèles, sans rien dire ! — quasi agnus coram tondente se (1) — sans manifester de ressentiment, sans protester, à moins que l'intérêt général ne commande une autre attitude. Le prêtre est l'objet d'assez de haines injustifiées, pour qu'il n'aille pas s'en attirer de légitimes et de fondées.

 

 

§ V

Pudicum... Continentem... sobrium... non vinolentum. — Diaconos similiter pudicos... non multo vino deditos.

 

516. — La chasteté. Nous voici arrivés, avec les sixième et neuvième commandements, à l'un des points les plus délicats de la formation cléricale et des conditions de vocabilité.

La chasteté perpétuelle, imposée au futur prêtre dès qu'il consent à recevoir le sous-diaconat, est un fardeau très lourd et que toutes les épaules ne sont pas capables de porter. Elle est, tour à tour, — selon les aptitudes créées en nous par la grâce de Dieu, — ou cette chape de plomb, dont parle Dante, qui écrase ceux qu'elle couvre ; ou une grande paire d'ailes, qui emportent l'âme vers les hauteurs angéliques.

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(1) Quasi agnus coram tondente se obmutescet et non aperiet os suum. Is. liii, 7.

 

517. — Trois sortes de tempéraments. Au point de vue de la chas- tété, les séminaristes peuvent être divisés en trois catégories :

Ceux qui ne sauraient en accepter prudemment le joug.

Ceux qui peuvent devenir aptes à le porter, mais ne le sont pas encore.

Ceux qui sont aptes à la pureté.

518. — Les chastes. De ces derniers, nous n'avons rien à dire en cet endroit, sinon qu'ils ne doivent pas cesser de veiller et de prier, pour garder intact le précieux trésor qu'ils portent en un vase toujours fragile.

Le jour où ils commenceraient à mettre la plus petite confiance en eux-mêmes, en leurs propres forces, serait le point de départ d'une descente morale qui aboutirait à l'abîme, s'ils ne se hâtaient de revenir à la vigilance, à la crainte filiale, à la défiance d'eux-mêmes, à la prière.

Moyennant ces précautions préservatrices, qui doivent durer autant que la vie et même croître avec le progrès des ans... la chasteté leur sera douce, légère, et portera leurs âmes, leurs cœurs, toujours plus haut, in splendoribus sanctorum (1) !

Heureux ces tempéraments divinement prédisposés à la belle vertu !

519. — Les vicieux. A l'extrémité opposée, se trouvent les natures tellement viciées par la mauvaise concupiscence, tellement portées à la recherche des satisfactions sensuelles, qu'il serait souverainement imprudent de leur imposer le joug de la chasteté perpétuelle.

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(1) PS cix, 3.

 

A ceux-là, saint; Paul a dit : " Si vous ne pouvez vous contenir, mariez-vous, car il vaut mieux se marier que de brûler. (1) " Ce feu intérieur qui les dévore se manifeste par la séduction irrésistible d'un visage qui plaît... par la recherche des liaisons molles qui dégénèrent très vite (2), par l'attrait pour les lectures troublantes, par l'ardeur et la mobilité du regard qui semble toujours en quête d'émotions, etc. etc.

Soit influences héréditaires, soit complexion personnelle, soit résultat de graves désordres antérieurs, ces tempéraments ne sauraient se maintenir dans la continence. Il faut les écarter.

Parfois ce tempérament passionné est le résultat" d'un autre vice honteux qui dégrade les parents et l'enfant lui-même : l'ivrognerie, l'alcoolisme. Il faut bien en parler, puisque saint Paul n'a pas craint de nous dire : Oportet episcopum... non vinolentum esse !... Ce vice particulièrement honteux est presque toujours incorrigible. " Les exemples d'ivrognes vraiment convertis et corrigés sont cités comme des exceptions extrêmement rares (3). " Il faudrait donc écarter du sanctuaire les séminaristes atteints de ce mal, comme ceux qui sont brûlés par l'incontinence.

Et comme le jeune clerc doit se préserver avec soin de tout ce qui pourrait créer en lui un si vilain penchant !

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(1) Quod si non se continent, nubant : melius est enim nubere quam uri. I Cor. vii, 9.

(2) Il faut bien se garder de confondre avec ce penchant à la mollesse des sens le penchant à l'amitié, qui est un des plus nobles sentiments du cœur humain, et qu'il serait fort imprudent de contrarier, chez les jeunes gens, sous prétexte qu'il y a péril ou parce qu'on y voit trop facilement une simple affaire de sensualité... Les bonnes amitiés du Séminaire deviennent souvent le charme et le réconfort de toute une vie sacerdotale. Les petites exagérations du début se corrigent facilement. — Intelligenti pauca.

(3) BRANCHEREAU. La vocation, p. 154.

 

Qu'il médite cet avertissement de l'Apôtre : " Marchons honnêtement comme en plein jour, ne nous laissant point aller aux excès de la table et du vin, à la luxure et à l'impudicité (1). " L'un amène infailliblement l'autre.

520. — Les intermédiaires. Entre les deux extrêmes dont nous venons de parler — tempérament chaste, tempérament vicieux — se place le tempérament mobile, susceptible de formation et de redressement moral. Cet enfant, ce jeune homme, est capable d'apprendre à dompter ses sens, et à maîtriser les mouvements désordonnés de son cœur. C'est toute une éducation de la pureté qu'il faut entreprendre sur lui et l'expérience prouve que cette éducation est possible. Elle se fait surtout au Petit Séminaire ; elle peut avoir à se continuer au Grand Séminaire. Il y faut procéder avec un tact et une délicatesse infinis, avec un dévouement inlassable et une tendresse toute maternelle. Quand un directeur a su se concilier la pleine confiance de son pénitent, il n'est pas de victoires qu'il ne puisse parvenir à lui faire remporter.

521. — Une question pratique. Ici une question pratique se pose à propos des jeunes gens qui ont dû ainsi conquérir de haute lutte leur chasteté, parmi des alternatives de succès et de revers. Si, au moment de s'engager pour toujours dans les vœux du sous-diaconat, leurs chutes sont toutes récentes, ils doivent certainement s'abstenir et attendre encore.

Les théologiens demandent " diuturna pænitentia ". De quelle durée doit être cette pénitence ? ou mieux : quel temps de persévérance est nécessaire pour qu'on puisse juger prudemment que la belle vertu est établie dans une âme à poste fixe ?

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(1) Non, in comessationibus et ebrietatibus ; non in cubilibus et impudicitiis. Rom. xii, 13.

 

— Aucune réponse uniforme ne saurait être faite à cette question. La sentence doit varier selon les cas particuliers, en s'inspirant de toutes les circonstances de fait, de la nature des fautes, de leur intensité, de leur fréquence, de la générosité du sujet, de son énergie de caractère, etc.

Des hommes d'expérience, mûris dans la pratique des Séminaires, estiment qu'il ne faut jamais consentir à appeler aux ordres un clerc qui se serait oublié jusqu'à pêcher " cum muliere ". M. Branchereau, qui rapporte cette opinion, semble ne pas oser en adopter la rigueur. Nous ne l'adopterons pas davantage. L'histoire de l'Eglise en mains, nous pouvons affirmer que des vocations très sérieuses ont fait suite même à ces sortes de fautes. Et qui ne devine que ces chutes honteuses peuvent venir parfois d'une surprise passagère, d'une imprudence tout à fait fortuite. La rapidité du relèvement, la sincérité et la vivacité du remords, sont souvent la preuve éclatante qu'on se trouve en présence d'un accident isolé, dont on a tout lieu d'espérer qu'il n'aura pas de conséquence. Qu'on impose au coupable un plus long temps d'épreuve : la mesure est sage ; mais écarter impitoyablement du sacerdoce ce malheureux, victime d'une faiblesse momentanée, serait d'une sévérité outrée et peut-être injuste.

522. — Nécessité de l'éducation de la pureté. Ce qui est nécessaire par- dessus tout aux candidats des saints Ordres, à tous sans exception, forts ou faibles, mous, chancelants ou virils, — c'est qu'ils reçoivent au Séminaire une solide éducation de pureté.

Cette éducation doit se tenir en juste équilibre entre une sorte de rigorisme pointilleux, qui voit des fautes où il n'y a que des accidents physiques, et un laxisme mondain qui jetterait dans toutes sortes d'imprudences de jeunes cœurs déjà trop portés à une excessive confiance en eux mêmes.

Les Séminaristes apprendront à se dégager des vains scrupules qui dépriment l'âme et lui enlèvent sa vigueur. Par de solides principes sur les conditions de l'acte moral, ils sauront distinguer ce qui est mal de ce qui ne l'est pas ; et, convaincus qu'il ne peut y avoir péché mortel là où il n'y a pas eu advertance pleine et plein consentement ; convaincus, par conséquent, qu'on ne peut pas avoir commis un péché mortel, si l'on n'a pas eu conscience de le commettre, ils se débarrasseront, par un vigoureux effort de volonté, de ces dangereux retours sur des faits passés, de ces analyses compliquées et énervantes d'états d'âme insaisissables et que la peur, après coup, fait exagérer à plaisir. Ils apprendront surtout à dire très simplement et le plus tôt possible à leur confesseur ce qui s'est passé. Ils recevront docilement sa décision et ensuite s'interdiront, comme une faute d'imprudence, tout examen du fait jugé. Que l'on forme des consciences délicates et même sagement timorées, c'est fort bien ; mais qu'on se garde de fomenter les scrupules et de favoriser les étroitesses de jugement moral.

523. — Connaître l'objet précis du vœu de, chasteté. Cette éducation de la pureté doit éclairer le futur sous-diacre, très nettement, sur l'objet précis du vœu de chasteté. Et, pour cela, il y a lieu de lui ouvrir les yeux, pat des révélations progressives et prudemment graduées, sur la matière même du vœu. Il ne suffit donc pas de lui dire, en langage pieux, que le vœu de chasteté consiste à mené! une vie angélique, à vivre dans le corps comme si on n'avait pas de corps, à se garder de toute souillure ; et autres choses semblables. Ces formules vaporeuses sont de mise dans les discours où l'on ne saurait guère, en matière si délicate, en employer d'autres ; mais elles ne signifient rien pour celui qui n'est pas déjà renseigné. Or, celui qui se dispose à émettre un vœu, un vœu perpétuel, un vœu qui change toute la vie et toute l'orientation, de la vie, celui-là a le droit de savoir clairement ce qu'il va. faire ; et donc, on a le devoir de l'en instruire.

524. — En connaître les difficultés. Il doit être instruit égale- ment sur les difficultés qu'il: aura à vaincre, durant toute sa vie, pour rester fidèle à son vœu. Ne lui rien déguiser, ne lui rien atténuer. Lui déclarer très nettement que la chasteté est au-dessus de la nature, qu'elle n'est possible qu'avec la grâce de Dieu, avec la prière assidue, avec une sage sobriété, et avec la plus grande vigilance sur les sens et les occasions de péché. Proclamer surtout qu'elle est impossible à certains tempéraments, même avec tous les secours naturels et surnaturels (1) ; et qu'aux natures même les plus privilégiées, elle devient très lourde, dès qu'on se relâche de la vigilance et de la prière.

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(1) Ce passage a provoqué une question adressée à l'Ami du Clergé.

Nous faisons nôtre la réponse donnée par la docte Revue (N° du 13 avril 1911).

Q. — Prière à l'Ami du Clergé de nous dire comment il faut entendre les paroles de M. Lahitton dans son beau livre " LA VOCATION SACERDOTALE ", p. 397, lorsque parlant de l'éducation de la pureté que les séminaristes doivent recevoir, il dit : " Proclamer surtout qu'elle est impossible (la chasteté) à certains tempéraments, même avec tous les secours naturels et surnaturels. "

R. — Nous avons relu dans son contexte la phrase qui semble vous avoir étonné. Veuillez considérer tout d'abord qu'il y est question de la chasteté absolue. Saint Paul, vous le savez, n'a pas osé la conseiller indifféremment à tous les chrétiens ; il semble même affirmer que certains tempéraments - n'y sont pas aptes, non qu'elle leur soit absolument impossible, mais parce qu'elle présente pour eux des difficultés très grandes. S'y engager, surtout par vœu solennel, serait pour eux une imprudence grave. De ceux-là saint Paul a dit : Quod si non se continent, nubant ; menus est enim nubere quam uri.

Ces tempéraments déséquilibrés, doivent tout spécialement être détournés de s'engager dans la chasteté sacerdotale, dont la violation entraîne tant de scandales et de ruines spirituelles.

Nous croyons que c'est là la pensée de M. Lahitton. Il veut qu'on écarte du sanctuaire les candidats pour qui la chasteté absolue est si difficile qu'elle exigerait d'eux des efforts héroïques, au-dessus de la commune mesure. (Cf. supra N° 519)

 

Ces révélations doivent être faites au séminariste, non pas à la veille de son sous-diaconat, lorsqu'il lui est si difficile, humainement parlant, de reculer ; mais, longtemps avant, I) est même à désirer qu'elles précèdent les dernières vacances que le futur sous-diacre doit passer dans sa famille, avant les engagements solennels.

Ces vacances seraient ainsi pour lui l'épreuve décisive et subie en toute connaissance de cause (1).

Oh ! surtout qu'on ne rencontre pas des prêtres qui puissent dire : " Quand j'ai franchi le pas du sous-diaconat, je ne savais pas au juste ce que je faisais ! On ne me l'avait pas dit. Je n'ai été renseigné que plus tard, quand il n'était plus temps de revenir en arrière. "

525. — En connaître les facilités et les gloires. Mais, quand le séminariste, averti des difficultés humainement insurmontables que présente la chasteté perpétuelle, se prend à trembler et s'apprête à fuir, qu'on se hâte de lui expliquer l'autre côté de la question.

La vertu angélique est bien digne, par sa beauté, de tenter un jeune cœur ! Qu'on la lui montre dans tout son éclat, qu'on la lui montre incarnée dans les Saints qui l'ont portée, glorieuse et inviolée, à travers les dangers les plus graves et les existences les plus tourmentées !

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(1) Pour les clercs qui font leur service militaire, cette connaissance du mal sera le résultat fatal du séjour à la caserne. Là, le vice impur s'étale trop souvent avec une brutalité dégoûtante. Mais pourquoi ne préviendrait-on pas le choc de ces cyniques révélations, en éclairant le futur séminariste-soldat ? On dit très bien qu'un homme averti en vaut deux : notre séminariste sagement averti se tiendra sur ses gardes et se laissera moins facilement désarçonner ! — D'autre part, qu'on ait soin d'expliquer au futur sous-diacre revenu du service militaire, et qui se croit par là suffisamment renseigné, que les tentations les plus dangereuses pour la vertu ne sont pas celles qu'il a connues à la caserne ; celles-là sont trop brutales pour agir efficacement sur un cœur tant soit peu élevé. Il en est d'autres, plus subtiles, plus pénétrantes et bien plus funestes, celles qui se présenteront sous la forme de liaisons d'apparence pure, pieuse, et où le cœur se laisse entraîner presque insensiblement, s'il n'est toujours sur ses gardes.

 

O quam pulchra est casta generatio cum claritate (1) !

On ne peut être chaste qu'avec la grâce, c'est vrai ; mais Dieu, bien loin de la mesurer parcimonieusement à ses prêtres, la leur verse à profusion, à torrents, pourvu qu'ils restent humbles, défiants d'eux-mêmes et fidèles à l'oraison.

De plus, et c'est peut-être le point le plus important, qu'on prenne bien garde que le jeune clerc ne se méprenne sur la signification du serment de chasteté et ne le considère comme un vœu qui dessèche le cœur en le condamnant à la privation d'aimer et d'être aimé ! Si telle était sa portée, il ne serait pas seulement au-dessus de la nature, mais encore contre nature ! Non, non, faut-il déclarer au séminariste, le vœu de chasteté ne vous condamne pas à la mort du cœur. Au contraire, il vous présente l'objet le plus doux, le plus délectable, le plus captivant, le plus capable d'absorber et de satisfaire toutes vos puissances d'aimer. C'est Jésus ! le Bien suprême, incarné et rendu visible dans notre nature, paré d'amabilités et de charmes infinis ! Apparuit benignitas et humanitas (2) ! Jésus, roi et centre de tous les cœurs ! Jésus, le Sacré-Cœur ! Jésus tout ruisselant d'amour, et s'offrant ainsi à nos tendresses, à nos embrassements et à ces cœur à cœur ineffables, quotidiens, qui s'appellent la visite au Saint-Sacrement, la Sainte Messe et surtout la Sainte Communion ! Ah ! l'on serait bien difficile de ne pas se contenter de Jésus ! C'est qu'on ne le comprendrait pas ; c'est qu'on ne croirait pas de sa part à tant d'amour !

Croyons à son amour ; et le vœu de chasteté, bien loin de nous être une charge, nous apparaîtra ce qu'il est véritablement : une délivrance, une ascension !

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(1) Sap. iv, 1.

(2) Tit. iii, 4.

 

 

§ VI

Hospitalem... non cupidum, sed suæ domui bene præpositum… non turpis lucri cupidum,.. Diaconos non turpe lucrum sectantes...

 

526. — Vol et avarice. Les septième et dixième commandements de la loi naturelle défendent toute violation du bien d'autrui, même par simple désir. Ils ordonnent la charité envers le prochain sous forme d'aumône et conseillent la générosité, la munificence.

Ces défenses, ces prescriptions, ces conseils, saint Paul les adresse aux candidats du sanctuaire et il en fait encore une condition expresse de vocabilité. C'est à bon droit.

Il est évident, en effet, que le penchant pour le vol, constaté chez un séminariste, suffirait à le faire exclure aussitôt.

Il est non moins évident que l'avarice, ou l'amour excessif de l'argent, et la dureté de cœur vis-à-vis des malheureux, qui en est la conséquence, serait un signe tout aussi fâcheux et décisif que le vol lui-même !

Amasser, thésauriser, cumuler toujours plus, fermer sa bourse et sa porte aux pauvres, ou ne leur jeter qu'une aumône dérisoire ; que tout cela est odieux chez un prêtre qui doit prêcher à tous, par ses exemples plus encore que par sa parole, le détachement des biens de ce monde. Chez lui tout amour du lucre est choquant — turpis lucri — car il n'a pas, pour le justifier, l'excuse d'une famille à nourrir ; sa famille à lui, c'est sa paroisse et plus particulièrement les malheureux de son troupeau.

527. — Anathèmes des fidèles contre le prêtre avare. Les fidèles le sentent d'instinct ; et, autant ils vantent le prêtre qui se montre bon, accueillant — hospitalem — pour les nécessiteux, autant ils détestent et couvrent d'injures celui qui est dur à la misère et insensible aux souffrances des indigents, celui qui ayant du pain en abondance n'en donne pas à ceux qui lui tendent la main.

Et de quels anathèmes sont poursuivis ces testaments scandaleux de prêtres, laissant à des parents plus ou moins éloignés, des sommes d'argent relativement considérables, après s'être montées, pendant leur vie, intéressés; âpres au gain, impitoyables, pour exiger les moindres redevance ; turpe lucrum sectantes.

528. — Indélicatesses chez les séminaristes. Ce vice de l'avarice ne peut guère se renconter chez dés séminaristes. Les moralistes ont remarqué depuis longtemps qu'il est la passion de l'âge mûr et surtout de la vieillesse. Le jeune homme est naturellement généreux et volontiers prodigue. Ce qu'il y aurait à surveiller chez eux, au sujet du septième commandement, ce serait peut-être, un certain manque de scrupule au sujet du tien et du mien. Il se peut que la délicatesse de conscience, en cette matière, soit un peu diminuée dans nos établissements par le fait du service militaire. On sait, en effet, que le proverbe gratuitement attribué à la nation voisine " tout ce qui est en Espagne appartient aux Espagnols ", est répété complaisamment et mis en pratique par les soldats. Nos séminaristes-soldats s'en défendent-ils complètement, et ne risquent-ils pas de rapporter de la caserne certains procédés, qui dénotent, sur ce point, quelque défloration du sens moral, ou tout au moins, une certaine indélicatesse ?

C'est là un point qui mérite attention. Plus tard, le séminariste devenu prêtre aura à manier, à l'abri de tout autre contrôle que celui de sa conscience, dès sommes d'argent plus ou moins considérables ! Il faut donc que sa conscience soit honnête, jusqu'au scrupule.

 

 

§VII

Non litigiosum... prudentem... testimonium habere bonum ab iis qui foris sunt. Diaconos... non bilingues.

 

529. — Eviter médisances, calomnies, soupçons, etc. Sur le huitième commandement de la loi naturelle, auquel ces paroles de saint Paul se rapportent, que de défauts à relever qui peuvent sévir, dans les séminaires et, poussés à un certain degré, marquent une inaptitude évidente pour le ministère sacré !

Le penchant à la médisance, surtout à la calomnie ; l'habitude de mentir à tout propos, surtout pour se disculper, les soupçons peu fondés les jugements téméraires, les paroles et les procédés brouillons, les indiscrétions de tout genre, la curiosité qui scrute avidement les actes et les paroles d'autrui, les critiques tantôt ouvertes, tantôt sournoises, contre les condisciples, contre les maîtres... quelle ample matière à réflexion, à examen, à contrôle sévère !..

Nous n'osons même pas nous aventurer sur un terrain aussi vaste et nous préférons répéter simplement aux séminaristes les deux ou trois mots de saint Paul placés en vedette.

Un candidat au sacerdoce ne doit pas être intempérant dans ses paroles " non litigiosum " ; mais gouverner avec prudence son jugement et son langage " prudentem ". Il a besoin que ceux du dehors se fassent une bonne opinion de lui et lui donnent le suffrage d'un témoignage bienveillant " testimonium habere bonum ab iis qui foris sunt ".

Or il est impossible d'obtenir l'estime du public quand on a mauvaise langue et si l'on est soi-même, toujours prêt à dénigrer les autres. Gardez-vous surtout, futurs diacres, futurs prêtres, gardez-vous de ce défaut qui s'appelle la langue double — non bilingues. — La sagesse divine la tient en abomination. — Os bilingue detestor (1).

530. — L'homme à langue double. L'homme qui a la langue double loue en face, mais il critique par derrière et frappe dans le dos ; il se plaît à désunir les amitiés ; car se sentant détesté lui-même, il ne peut souffrir que d'autres aient des amis. Fomentateur de discordes, il sait habilement semer les insinuations malveillantes ; il excelle à manier les mots à double sens, et sa malice redoutable s'amuse à accumuler les ruines dans les esprits et dans les cœurs.

Ces gens-là sont de vrais fléaux, des bêtes malfaisantes qu'il faudrait museler ! Il les faut écarter impitoyablement du sacerdoce, où ils exerceraient de véritables ravages. L'Histoire est pleine de leurs sanglants exploits.

Maudits soient les brouillons et les mauvaises langues ! " Susurra et bilinguis maledictus ; multos enim turbavit pacem habentes (2) ".

Cher séminariste, exercez-vous à la prudence du langage à la discrétion. Vous serez plus tard le confident des secrets les plus intimes, les plus sacrés. Saurez-vous les garder complètement, si vous contractez l'habitude de parler inconsidérément de tous et de tout, si vous n'avez pas dé jà, dès le séminaire, un religieux respect pour tout ce qui doit demeurer caché ? Que d'âmes qui auraient grand besoin de s'ouvrir au prêtre et n'osent point, parce qu'elles le savent, ou le croient, indiscret.... Pensez-y !...

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(1) Prov. viii, 13.

(2) Eccli. xxviii, 15. Qu'on lise ce terrible commentaire de Cornelius a Lapide : " Susurro qui clanculum proximi famam rodit, de eoque mala insusurrat auribus alterius ; item Bilinguis qui duplici quasi lingua contraria loquitur, (coram enim laudat, sed a tergo vituperat) ; uterque inquam, imo sœpe unus idemque est maledictus, id est dignus maledictione, quem scilicet Deus, angeli et homines abominentur et exsecrentur ; quia " multos pacem habentes" turbat seminando discordias, aversiones et odia. Ideoque amicitias dissociat, ac pro eis inducit inimicitias, rixas, bella cœdes et strages hominum, populorum, urbium et regnorum. " (Corn. A Lap. in hunc locum).

 

 

§ VIII

 

Justum ! Sanctum !

 

531. — Deux mots de saint Paul. On ne constatera pas sans étonnement que saint Paul, énumérant dans sa lettre à Timothée les conditions requises chez les aspirants au sacerdoce, ne paraît faire aucune mention des vertus surnaturelles; ni même de l'accomplissement des devoirs envers Dieu. Dans l'épître ad Titum, il signale encore et surtout des qualités négatives : non superbum, non iracundum, non vinolentum, non percussorem, non turpis lucri cupidum.

A la suite, cependant, nous trouvons deux mots qui, à eux seuls, contiennent tout un programme de sainteté cléricale.

Que celui qui désire le sacerdoce, dit-il, soit juste, soit saint : Justum, Sanctum (1).

532. — Justice dit toute vertu. La justice, dans le sens complet du mot, renferme tous les devoirs, et, en première ligne, les devoirs de religion. On n'est vraiment honnête et juste, même au point de vue de la simple raison, que si l'on se montre, avant tout, fidèle à Dieu. Qui dit justice dit toute vertu, proclame saint Thomas après Aristote. " Justitia est omnis virtus (2). "

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(1) Ad. Titum i, 8.

(2) IIa IIæ q. lviii, art. 5 sed contra.

 

533. — Toute vertu naturelle. Tous les préceptes du décalogue, affirme-t-il ailleurs, sont des préceptes de justice : les trois premiers regardent les actes de la religion, qui >est la partie la plus importante de .la justice ; — le quatrième règle les actes de la piété filiale, qui est la deuxième partie de la justice ; — les six derniers déterminent les actes de la justice ainsi vulgairement nommée, celle qui s'exerce entre égaux (1).

Le candidat du sanctuaire sera juste " justum ", fidèle à observer tous les commandements de la loi naturelle, fidèle à Dieu, animé d'une religion profonde.

534. — Toute vertu surnaturelle. Mais, l'on se tromperait fort, si l'on arrêtait à .cette limite, si étendue soit-elle, la signification du mot " justum " employé par l'Apôtre. La justice chrétienne comprend, elle aussi, toute vertu naturelle, mais elle enveloppe en outre le groupe très noble des vertus surnaturelles, qui forment dans l'âme l'escorte d'honneur de la grâce sanctifiante. " Nobilis simus omnium virtutum comitatus, quæ in animam cum gratia divinitus infunduntur (2). "

Le candidat au sacerdoce ne sera juste comme le requiert la dignité qu'il ambitionne, que s'il s'applique à pratiquer toutes les vertus ! Il lui convient d'accomplir ainsi toute justice (3).

535. — La sainteté. Et, chez lui, cette justice ne peut pas se tenir au niveau ordinaire prescrit à tout chrétien ; .elle doit ^.élever jusqu'à la sainteté " sanctum ".

Arrêtons là les considérations sur le minimum de sainteté à exiger des séminaristes. Aussi bien, ce qui nous reste à dire sur le maximum précisera sur ce point notre pensée.

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(1) " Prœcepta Decalogi oportuit ad justitiam pertinere. Unde tria prima prœcepta sunt de actibus religionis, quœ est potissima pars justitiœ ; quartum autem prœceptum est de actibus pietatis quœ est pars justitiœ secunda : alia vero sex dantur de actibus justitiœ communiter dictœ quœ inter œquales attenditur. " IIa IIæ q. cxxii, a. 1.

(2) Catéch. Conc. Trid. De Baptismo N° 42.

(3) Sic nos decet implere omnem justitiam (Math, iii, 15).

 

 

 

 

 

ARTICLE II.

SAINTETÉ CONVENABLE : MAXIMUM A PROMOUVOIR.

 

536. — Impossible de déterminer le degré de sainteté requise. S'il nous a été relativement facile de déterminer le minimum et le maximum de l'intention droite et de la science chez les jeunes gens qui aspirent au sacerdoce, nous déclarons sans détour, comme sans crainte d'étonner personne, qu'il nous est absolument impossible de fixer où finit le minimum de sainteté absolument requise, où commence le maximum de sainteté à promouvoir.

Si l'on demande dans quelle mesure il faut aimer Dieu, saint Bernard répond : la mesure de l'amour de Dieu, c'est de l'aimer sans mesure : " modus diligendi Deum sine modo diligere (1) ". "Pareillement si l'on veut savoir dans quelle mesure un séminariste, un aspirant aux Ordres, doit être saint, on ne peut que répondre : qu'il soit saint sans mesure. En cette carrière, aucun point d'arrêt ne saurait être assigné. Il faut, comme saint Paul, oublier le chemin parcouru, se porter de tout sen élan vers ce qui est en avant, toujours courir droit au tout, vers la vocation supérieure à laquelle Dieu nous convie dans le Christ Jésus : " ad bravium supernæ vocationis (2) ".

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(1) s. bernard. De Diligendo Deo, cap. 1.

(2) Quœ quidem retro sunt obliviscens et ad ca quœ sunt priora extendens meipsum, ad destinatum persequor, ad bravium supernœ vocationis Dei in Christo Jesu. (Philipp. iii, 13, 14).

 

537. — Cultiver toutes les vertus. Le bon séminariste, sou- deux de répondre dignement à sa vocation, se préoccupera donc de cultiver en lui toutes les vertus, les vertus théologales : foi, espérance; charité ; les vertus morales : prudence, justice, force, tempérance. Aucune ne sera négligée ; toutes lui seront nécessaires, car il doit les enseigner, les prêcher, de parole et d'exemple (1).

538. — La vertu reine : la divine charité. Il portera cependant un soin particulier à développer toujours davantage en lui la vertu reine, celle qui anime, vivifie et incite au progrès toutes les autres : la divine charité, l'amour de Dieu.

Il aimera Dieu à la manière de saint Bernard, à la maniède tous les Saints : il aimera sans mesure.

Il concentrera sur Lui, sur Jésus-Christ, sur le Sacré-Cœur, sur la très Sainte Eucharistie toute sa puissance d'aimer (2).

Aux flammes de cet amour sacré il présentera successivement tous ses défauts, pour les immoler en holocauste d'agréable odeur. Tous les sacrifices lui deviendront faciles et doux parce qu'il aimera ! L'amour de Dieu, la divine charité, fortifiera en lui toutes les autres vertus.

539. — Deux vertus spécialement recommandées aux clercs. Néanmoins, il est deux vertus que l'on peut plus spécialement recommander aux efforts des jeunes clercs, deux vertus qui semblent leur être plus nécessaires pour répondre de mieux en mieux à leur vocation et assurer des fruits plus abondants à leur ministère futur. Nous les avons souvent nommées dans les pages qui précèdent, et, plus d'une fois, nous les avons rencontrées dans les exhortations de l'Eglise et des Souverains Pontifes, ce sont : l'humilité et l'esprit de sacrifice.

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(1) A recommander aux séminaristes et aux prêtres l'excellent ouvrage du P. Bouchage : Pratique des vertus.

(2) Fortitudinem meam ad te custodiam, quia Deus susceptor meus es (Ps. lviii).

 

Pie X nous a signalé l'indiscipline et ce qui l'engendre, l'orgueil de l'esprit, comme l'inclination la plus contraire à la vocation (1). C'est donc qu'à ses yeux l'humilité est la vertu la plus nécessaire du séminariste.

D'autre part, Léon XIII nous a déclaré qu'un puissant esprit de sacrifice est absolument nécessaire pour travailler avec zèle à la gloire de Dieu et au salut des âmes (2).

Nous avons parlé plusieurs fois de l'esprit d'humilité, plus rarement de l'esprit de sacrifice, pas assez ni de l'un, ni de l'autre.

Mais à vouloir traiter de ces deux vertus on serait infini.

Donnons seulement quelques brèves indications ; elle termineront utilement cet ouvrage.

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* *

540. — L'humilité, vertu nécessaire. L'humilité devrait naître comme d'elle-même clans la volonté, quand notre esprit s'est fortement pénétré de cette double conviction : Je ne suis rien. " Nihil sum (3) ". Je ne puis rien, " Sine me nihil potestis facere (4) ".

Je ne suis quelque chose que par Dieu ; mais avec Dieu je peux être tout, jusqu'à devenir son semblable : " similes ei erimus (5) " ; " divinæ consortes naturæ (6) ".

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(1) PIE X. Encycl. Pieni l'animo. 28 julii 1906, (Cf. N° 269).

(2) LÉON XIII. Encycl. Fin. del principio, 8 décembre 1902. Cf. supra. 2e partie, chap. iii, art. 1.

(3) I cor. xiii, 2.

(4) JOAN. xv, 5.

(5) I JOAN. iii, 2.

(6) I PETRI i, 4.

 

Je me puis quelque chose que par Dieu ; mais avec Dieu je peux toutes choses : " Omnia possum in eo qui me confortat (1) ".

A Dieu je dois donc rapporter la gloire de tout ce que je suis et de tout ce que je fais de bien.

Notre orgueil vient, en premier lieu, de notre ignorance, ou de notre demi-conviction, ou de note oubli, au sujet de ces deux vérités. Un solide traité " de deo "; est la première condition de l'humilité, cette vertu si chrétienne et même si humaine (2).

De l'humilité résulte une défiance absolue de soi-même, jointe à une confiance : absolue en Dieu seul.

De l'humilité jaillissent la prière, la prudence dans nos démarches, la fuite des occasions, la recherche des conseils d'autrui, la douceur, l'obéissance à tout supérieur légitime, etc..., etc... Vertus passives, a-t-on osé dire ! Il faut n'avoir guère essayé de les pratiquer pour parler ainsi ; on aurait constaté qu'elles nécessitent l'énergie intérieure la plus intense, parce qu'elle contrarient nos penchants les plus invétérés !

541. — L'humilité et les autres vertus. Cette humilité est la condition indispensable de toute vertu et, en ce sens, le fondement de toutes les autres. La foi, il est vrai et il faut l'admettre avec le Concile de Trente, est le .fondement proprement dit, sur lequel reposent les autres vertus et tout l'édifice de la justification, fundamentum et radix totius justificationis (3). Mais observons, avec, saint Augustin et saint Thomas, qu'avant de jeter les fondements d'un édifice, il faut creuser la terre où on veut les placer.

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(1) Philipp. iv, 13.

(2) Qu'on nous permette de signaler un ouvrage du P. Faber : " Le Créateur et la créature ", comme fort propre à nous introduire dans l'humilité.

(3) Conc. Trid., sess. V, cap. viii.

 

De même pour introduire et établir :les vertus dans l'âme, il faut préalablement la creuser : c'est l'humilité qui fait ce travail préparatoire, très pénible, mais combien indispensable. L'humilité est donc bien, comme le dit saint Thomas, la condition nécessaire de toutes les autres vertus, en tant qu'elle bannit l'orgueil, qui est le grand obstacle à l'entrée de toute vertu. Cet orgueil, l'humilité le jette par-dessus bord, à larges pelletées, et prépare ainsi les voies à l'action de Dieu, de ce Dieu qui résiste aux superbes et ne s'incline que vers les humbles ( 1 ).

542. — L'humilité, plus nécessaire au prêtre. L'humilité est donc nécessaire à tous; mais combien plus au prêtre, au séminariste ! Car, en continuant la comparaison de saint Augustin, il faut dire : plus l'édifice que l'on se propose de bâtir est élevé, plus profonds doivent être les fondements que l'on creuse. Donc plus profonde doit être l'humilité chez celui qui brigue une dignité plus haute. Or, jusqu'où ne s'élève pas la hauteur du sacerdoce ? Ne dépasse-t-il pas, la maternité divine mise à part, toute autre dignité créée ? La conclusion s'impose : Le prêtre ne devrait être dépassé en humilité que par la Vierge très humble !

543. — Le point le plus pratique et le plus difficile de l'humilité. Voir qu'il faut être humble, c'est déjà un grand point. Cependant il n'en coûte pas trop d'avouer que nous ne sommes rien devant Dieu, que nous tenons tout de Lui, et que nous ne pouvons rien sans ses lumières et son secours. Le plus difficile est de reconnaître théoriquement, mais surtout pratiquement, cette autre vérité, à savoir que Dieu se fait représenter auprès de nous par des créatures à qui il délègue sa puissance de diviniser, sa puissance de diriger et d'aider à l'action ; qu'à ces créatures nous devons demander secours pour être, pour savoir et pour pouvoir : que nous devons nous soumettre à elles comme à Dieu même, dont elles sont les mandataires.

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(1) S. Thomas. IIa IIae q. clxi, art. 5 ad 2. — Qu'il nous soit permis de recommander à nos jeunes clercs la méditation attentive des articles de saint Thomas sur l'humilité et l'orgueil. (Ibid. q. clxi-clxv). Ils ne peuvent guère trouver rien de plus clair ni de plus pratique sur un sujet si important.

 

Les indisciplines d'esprit, de volonté, de parole et d'action proviennent, le plus souvent, de la méconnaissance pratique de cette vérité essentielle.

Nous ne pouvons nous étendre davantage; mais que les séminaristes soient bien persuadés que la plupart de leurs fautes, de leurs bévues, de leurs fausses démarches, de leurs imprudences, de leurs envies de révolte, de leur tristesse, de leur humeur sombre, ont une source commune : la vanité, l'orgueil, la confiance en eux-mêmes, la présomption !

*

* *

544. — Le sacrifice personnel est notre réponse au sacrifice eucharistique. Après l'humilité, l'esprit de sacrifice.

L'acte propre du prêtre est d'offrir le sacrifice de la messe : c'est pour cela qu'il est constitué : Constituitur... ut offerat... sacrificia (1). Le sacrifice de la messe, l'immolation du Christ, est l'action la plus auguste de la religion que prêche le prêtre, le résumé de tous les dogmes chrétiens. Mais il est nécessaire d'ajouter que le sacrifice de soi, l'immolation de soi, est l'acte le plus auguste de la morale chrétienne, le résumé de tous les préceptes. S'immoler pour l'amour de Dieu et pour l'amour de ses frères, se dépenser de toutes manières pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, c'est toute la raison d'être du prêtre.

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(1) Hebr. v, 1.

 

Le Séminaire est institué pour enseigner aux candidats de l'autel la manière d'offrir le sacrifice eucharistique et les augustes réalités qu'il contient : c'est tout le dogme.

Le Séminaire est institué également pour enseigner à ces futurs prêtres la pratique de l'immolation de soi, du sacrifice personnel : c'est toute la morale, tout l'ascétisme chrétien (1).

Or, ni l'une ni l'autre de ces sciences : science théorique du sacrifice de la messe, science pratique du sacrifice personnel, ne s'apprennent en un jour ; il y faut des leçons fréquentes et des exercices multipliés.

Chaque séminariste doit donc s'accoutumer peu à peu au sacrifice, c'est-à-dire au combat contre la mauvaise nature, à la destruction de ses défauts, à la mortification de ses passions, à l'oubli de soi pour les autres. Il doit tremper fortement sa volonté, en s'habituant à se vaincre en toutes choses, en se pliant à émettre fréquemment des vouloirs bons et réfléchis, en opposition avec les vouloirs spontanés, mais mauvais, qui surgissent sans cesse en lui (2).

Aucune de ses journées ne doit s'écouler sans être marquée par quelqu'un de ces sacrifices signalés, qui exigent un véritable effort, parfois de l'héroïsme, et font remporter des victoires glorieuses.

Chaque jour il assiste à la Messe de Jésus, chaque jour Jésus immolé s'offre à lui ; chaque jour aussi il devrait s'offrir à Jésus par une immolation personnelle.

545. — Hostie pour hostie. Ce doit être donc entre Jésus et vous, cher séminariste, une perpétuelle émulation d'amour sanglant.

Et si chaque jour vous êtes témoin du sacrifice de Jésus pour vous, que chaque jour Jésus puisse être témoin de vos sacrifices pour lui.

Par l'hostie que vous recevez, vous communiez véritablement à Jésus immolé. Mais cette communion n'a toute sa signification que si vous êtes résolus à vous immoler vous-même à Jésus.

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(1) A lire, à relire, à méditer souvent, le très bon ouvrage de Buathier. " Le Sacrifice dans le Dogme Catholique et dans la vie chrétienne. " Paris, Beauchesne. On peut l'appeler le livre d'or du sacrifice.

(2) Cf. La formation de la "volonté par guibert. — Paris, Bloud, Collection : Science et Religion.

 

546. — Toute hostie est une semence qui veut lever en sacrifice". Cette hostie qui vient dans votre poitrine est le fruit des deux sacrifices combinés du Calvaire et de l'Autel. Fruit de sacrifice, elle veut devenir en vous semence de sacrifice, comme le gland; fruit du chêne, est semence d'un chêne nouveau. Et comme le gland tombé du chêne demande à la terre qui le reçoit de quoi produire un arbre tout semblable à celui dont il est né, ainsi l'hostie sainte, tombant de l'arbre du Calvaire et du sacrifice de l'Autel sur la terre féconde de votre âme, lui demande de quoi produire, en vous et par vous, des- sacrifices aussi semblables que possible, à celui de l'Autel et à celui du Calvaire. Toute hostie reçue qui n'engendre pas après elle un sacrifice, est une hostie inutilisée, au moins en partie. Oh ! que d'hostie inutilisées dans votre vie, peut-être !

A quoi tend, en somme, cette pratique du sacrifice et de la mortification ? A un vrai dépouillement qui ressemble à une mort. Il s'agit de dépouiller, de tuer en nous ce que l'énergique langage de saint Paul appelle le vieil homme, l'homme enflé d'orgueil et brûlé par la concupiscence, l'homme né d'Adam pécheur, pour lui substituer l'homme nouveau, créé en nous selon la ressemblance du nouvel Adam, de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1).

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(1) Ephes. iv, 24 ; I Cor. xv, 47, 49.

 

Chers, Séminaristes; c'est, pour, opérer en vous ce changement, cette substitution, que Jésus vient en vous si souvent par la Sainte Communion. Chaque fois qu'il entre en vous, c'est pour y, graver un nouveau trait de sa physionomie morale, ou pour appuyer de nouveau sur les lignes déjà imprimées, mais que vous, effacez sans cesse. C'est le Souverain Prêtre qui, vient poursuivre en vous la formation du prêtre que vous voulez être. " donec formetur Christus in vobis (1) ". C'est le Sauveur qui vient continuer dans votre âme l'image commencée d'un nouveau Sauveur, donner d'autres coups de pinceau à cette œuvre depuis longtemps entreprise par son amour, mais si fort, compromise par vos: résistances et toujours si peu avancée par le fait de vos infidélités.

547. — Nos résistances à Jesus qui nous demande des sacrifices. Vous semblez occupé à défaire son travail; à mesure; qu'il essaye de le pousser plus avant ; à effacer les traits et les couleurs, à mesure qu'il les étend ou les reproduit.

Que de fois il a essayé de graver en vous l'humilité ; et toujours l'orgueil, ou une sotte vanité, vous dévore.

Que de fois il a voulu peindre en vous le goût du travail, de l'effort persistant, de la piété ; et toujours vous vous traînez dans la paresse; les nonchalances et les tiédeurs.

Que de fois il vous a demandé tel ou tel sacrifice, que de fois il vous a suggéré telle ou telle démarche d'obéissance, de soumission, l'immolation de telle attache dangereuse, et vous refusez et vous vous dérobez toujours. A ces voix mystérieuses qui vous provoquent au bien vous faites la sourde oreille et peu à peu votre piété dégénère en piété de surface, toute théorique ou de pure sentimentalité. Et, tandis que votre communion matinale devrait rayonner sur toute votre journée pour la transformer en journée vraiment chrétienne, eucharistique, sacrifiée, vous la confinez entre les strictes limites des quelques minutes de l'action de grâces, comme âne source que l'on enclôt de hautes murailles, pour l'empêcher de se répandre au dehors. Vous ne serez dans le vrai de la religion chrétienne, et surtout dans le vrai de votre vocation sacerdotale, que lorsque vous serez entré à pleines voiles dans la pratique du sacrifice.

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(1) Galat. iv, 17-19.

 

548. — Conclusion. Terminons en répétant ces deux mots, que tout séminariste devrait graver, en lettres de feu et de sang, dès la première ligne de son programme de sainteté :

 

HUMILITÉ —— SACRIFICE

Et concluons par cette adjuration finale :

O vous qui aspirez à offrir le sacrifice de la messe, sachez que le premier et le plus nécessaire de tous les sacrifices personnels, celui qui s'impose à vous chaque jour, et ne doit Jamais cesser "sacrificium Domino legitimum, juge... perpetuum (1) " consiste dans l'immolation de votre vanité, de votre amour-propre, de vos susceptibilités, de vos désobéissances, en un mot, le sacrifice de votre orgueil.

Que votre lutte contre lui soit sans trêve et ne vous flattez jamais de lui avoir donné le coup suprême. L'orgueil ne mourra qu'avec vous, et vos efforts à le détruire devront se continuer tout le long de votre vie sacerdotale qui sera ainsi jusqu'à la fin ce qu'elle doit être : une vie d'humilité, une vie de sacrifice dans l'amour de Dieu.

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(1) EZECH. xlvi, 14.

 

 

Conclusions

I. — L'ÉTUDE DE LA VOCATION AU GRAND SÉMINAIRE

 

549. — Cette étude est facile. Si l'on a bien suivi notre pensée, on n'aura pas de peine à tirer avec nous cette conclusion, à savoir que ce que l'on appelle étude de la vocation, est chose relativement facile au Grand Séminaire, soit pour les Directeurs qui appellent, soit pour le Directeur de conscience qui doit juger ou conseiller son pénitent au sujet de l'appel reçu ou à recevoir, soit pour l'élève lui-même.

550. — Sur quoi elle ne porte pas. Rappelons tout d'abord que ni les uns ni les autres n'ont à rechercher dans les candidats un appel divin véritable. Cette théorie d'une vocation directement notifiée au sujet par Dieu doit être définitivement mise de côté, comme contraire à la plus pure doctrine de l'Eglise, de la Sainte Ecriture et de la Théologie catholique ; comme contraire, aussi, à l'expérience universelle qui, sous le nom de recherche des vocations, ne fait, au fond, que rechercher des aptitudes plus ou moins prononcées aux fonctions sacerdotales.

551. — Pas de signes certains d'appel divin antécédent. Les signes d'après lesquels on voudrait conclure — avant l'appel épiscopal — que quelqu'un est ou semble divinement marqué pour le sacerdoce, ne sont en définitive que des signes d'idonéité, de vocation en puissance. Et personne n'a le droit d'affirmer, en vertu de ces signes, qu'un sujet est certainement l'objet d'un appel éternel de Dieu au sacerdoce.

552. — Nul droit à l'ordination. Par conséquent, nul ne peut conclure qu'il y a, pour les ministres de l'Eglise, obligation d'appeler et d'ordonner tel ou tel sujet que l'on supposerait appelé de Dieu. Les deux questions, en effet, sont intimement liées et corrélatives. Si l'on pose le principe de l'appel divin antécédent, la conclusion s'impose de la nécessité pour les évêques d'appeler et d'ordonner l'élu de Dieu.

Or, les chefs d'Eglise ne sont pas plus obligés d'appeler au sacerdoce tous ceux qui paraissent appelables, que les chefs de l'Etat ne sont tenus de créer fonctionnaires tous les citoyens qui sont aptes à le devenir. Les uns et les autres, nous l'avons dit plus haut d'après saint Thomas, ne se doivent guider que d'après les exigences du bien commun.

C'est pourquoi, nous l'avons vu, les Souverains Pontifes et les Conciles recommandent aux Evêques de n'ordonner que le nombre de prêtres réclamé par les nécessités de leurs diocèses respectifs, et de se montrer plus exigeants pour les qualités des ordinands, quand ils ont abondance de candidats aux saints Ordres.

L'étude de la vocation est donc, purement et simplement un examen d'aptitudes intellectuelles et morales. Or, cette étude est facile :

1° Pour les Directeurs de Séminaire.

2° Pour le Directeur de conscience.

3° Pour le candidat lui-même.

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1° L'étude de la vacation est facile pour les Directeurs

de Séminaire

553. — Facile au point de vue de la science. Les multiples examens auxquels sont soumis les élèves des Grands Séminaires éclairent abondamment la conscience des Directeurs en ce qui est de la science des candidats.

554. — Facile au point de vue de la moralité. Les diverses sources d'information dont ils disposent relativement à la moralité, à la vertu, à la droiture d'intention chez les élèves, sont également suffisantes, dans la très grande majorité des cas, pour fonder un jugement prudent. Tout se réduit à ceci : Que personne ne leur cache quelque pièce essentielle ou utile à l'examen de la cause.

555. — Devoir d'informer les juges des candidats aux saints Ordres. C'est une grave obligation pour tous les fidèles et pour tous les prêtres de contribuer au bon recrutement du clergé, de veiller surtout à écarter les indignes.

Ils ont un devoir en cette affaire, et .gravement obligatoire en conscience, c'est de fournir aux juges officiels tous les renseignements susceptibles de les éclairer au sujet des candidats. L'admonition solennelle du Pontifical (1) n'est que le rappel de cette obligation qui a dû être remplie antérieurement, tout comme les réflexions très sérieuses, très longues, que l'évêque prescrit aux clercs qui vont franchir le pas du sous-diaconat, doivent avoir été faites par eux avant ce moment solennel.

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(1) Quid de eorum actibus aut moribus noveritis, quid de merito sentiatis, libera voce pandatis ; et his testimonium Sacerdotii magis pro merito quam affectione aliqua tribuatis. Si quis igitur habet aliquid contra illos, pro Deo et propter Deum, cum fiducia exeat et dicat : verumtamen memor sit conditionis suœ. (Pontifical. — Ordination des prêtres).

 

La publication solennelle des bans pour les Ordres sacrés, ne doit donc pas être considérée comme une formalité vide de sens ; elle oblige rigoureusement et sous peine de faute grave — bien plus grave que dans les questions matrimoniales — à éclairer les évêques et leurs représentants sur la conduite des candidats.

Dès lors que l'on connaît là-dessus un détail de quelque importance, on n'a pas le droit de le taire ; moins encore pourrait-on décider, par soi-même, que le fait ne saurait être de conséquence. On n'est pas juge en ces matières sacrées ; et, d'autre part, si en réalité le renseignement n'est pas de nature à modifier le jugement des Directeurs, il n'y a donc aucun inconvénient à le donner, tandis que l'on peut toujours craindre qu'il n'y ait dommage à le tenir secret. Ceux qui, à ce propos, oseraient prononcer le mot de " délation ", feraient preuve de posséder bien peu le sens de la véritable délicatesse.

Cette obligation est particulièrement grave pour les élèves d'un même Séminaire au sujet de leurs condisciples, et pour les prêtres du diocèse au sujet des séminaristes (1). Si chacun fait son devoir, tous les candidats indignes seront écartés.

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(1) Les lettres testimoniales des vacances rentrent dans cet ordre d'idées. La conscience des curés de paroisse est strictement liée au sujet de leurs séminaristes en vacances : " Super quo conscientiam tuam oneramus" disent les Evêques. — Ne se rencontre-t-il pas des curés qui semblent plus préoccupés de cacher les fautes de leurs protégés que de les dévoiler ? Quelle triste protection ils leur donnent là, et comme ils comprennent peu leurs obligations envers le sacerdoce !

 

2° L'étude de la vocation est facile,

pour le Directeur de conscience

 

556. — Le confesseur. Qu'on veuille bien se reporter à ce que nous avons déterminé au sujet de son rôle exact, et l'on concluera que son jugement en cette matière, comme confesseur, est, dans la plupart des cas, purement négatif, en ce sens qu'il n'a pas à décider si la " vocatio " doit ou peut être donnée, mais seulement si la vocation proposée doit être refusée par le candidat.

S'il ne connaît dans son pénitent aucun fait intime de conscience qui interdise l'acceptation de l'appel, son rôle consiste purement et simplement à laisser passer la vocation reçue.

Sa responsabilité est, de ce chef, très allégée.

557. — Le conseiller. Son rôle de conseiller prudentiel et ascétique est plus délicat ; mais il entraîne de moins graves responsabilités. Nous nous sommes longuement étendu sur ce point (N° 300 et suiv.).

 

3° L'étude de la vocation est facile pour le candidat

558. — Devoir unique du candidat. Celui-ci n'a, à ce point de vue, qu'une seule chose à faire : se montrer tel qu'il est à ses directeurs, tel qu'il est à son confesseur. S'il procède ainsi, il peut se tenir tranquille. Quand l'appel des Directeurs lui sera notifié et que le confesseur lui aura déclaré qu'il ne trouve en son âme aucune raison de refuser l'appel, il pourra dire en toute joie et expansion d'âme : Je suis sûr de la légitimité absolue de ma vocation au sacerdoce. Cette douce certitude rayonnera sur toute sa vie de' prêtre ! (N° 239).

Au contraire, s'il a dissimulé quoique ce soit d'important à ses Directeurs ou à son confesseur, un vice d'origine pèsera sur sa carrière sacerdotale tout entière, car il pourra toujours craindre d'avoir extorqué la vocation, d'avoir été ordonné prêtre contre la volonté de Dieu, à la faveur d'un simple décret permissif divin, semblable à ceux dont parle la théologie, par lesquels Dieu laisse faire le mal à qui s'obstine à le vouloir commettre.

559.— Si non fueris vocatus, fac te vocatum. Il n'est peut-être pas inutile d'ajouter que pour ce malheureux tout espoir n'est pas perdu.

Appelé et ordonné sans vocation dispositive, c'est-à-dire sans l'idonéité voulue, il lui reste la possibilité de conquérir après coup, avec le secours de ces grâces de choix que Dieu ne refuse point au repentir sincère, les dispositions qui lui manquaient au jour de l'ordination.

Et tel est, semble-t-il, le seul sens qu'on puisse raisonnablement donner à l'adage traditionnel : Si non fueris vocatus, fac te vocatum. Au regard de l'appel éternel, un pareil' principe ne saurait se soutenir. Les décrets divins sont irréformables. On est appelé ou on ne l'est pas : on n'y saurait rien changer.

Mais la vocation au sens matériel du mot, de même qu'on peut la perdre en perdant l'intention d'être prêtre, et l'idonéité, de même peut-on la recouvrer, la raviver et la développer.

 

IIV — SITUATION" JURIDIQUE DU CANDIDAT AU SACERDOCE, PAR LE FAIT DE SON ENTRÉE AU GRAND SEMINAIRE.

 

560 — Le candidat au jour de son entrée au Séminaire. Le jour où il a franchi le seuil du Grand Séminaire, le jeune homme qui se destine aux Ordres a inauguré avec l'évêque de son diocèse des rapports tout particuliers.

En l'accueillant d'ans la maison où il forme ses prêtres, l'évêque, représenté par les Directeurs, a montré au candidat le règlement qui fixe les conditions de vie dans l'établissement, et lui a dît : " Vous êtes libre d'entrer dans mon Séminaire ou de n'y pas entrer, libre d'y rester ou de partir ; on ne vous force pas de venir, on ne vous empêchera jamais de vous retirer. Mais vous n'avez le droit d'entrer et vous n'aurez le droit de rester qu'autant que vous vous plierez aux règles que j'ai établies. Ce règlement volontairement accepté, vous n'aurez jamais le droit d'en éluder les articles ; ce serait de votre part une inconséquence et une déloyauté. Car, si vous êtes entré dans ma maison et si vous y restez, c'est bien de vous-même ; et vous n'avez le droit d'y vivre que selon les règles qui y sont en vigueur.

La liberté de vos mouvements n'est restreinte que par vous, puisque vous pouvez, en vous en allant; vous débarrasser du joug, s'il vous pèse trop.

De même, vous êtes libre de désirer le sacerdoce ou de ne pas le réaliser ; mais si vous voulez être prêtre, vous ne léserez qu'à la condition de passer tant d'années dans mon Séminaire et d'y satisfaire aux diverses obligations intellectuelles, morales et disciplinaires que j'y ai déterminées.

Mais, d'un autre côté, quoique libre de vous appeler, de vous ordonner ou de ne pas vous ordonner, je m'engage par promesse formelle à vous appeler et à vous ordonner, si vous vivez en vrai séminariste. "

561. — Quasi-contrat et gratuité de l'appel. La vocation demeure toujours gratuite et le fait de vivre conformément aux règles d'un Grand Séminaire ne confère en soi aucun titre exigitif de l'appel divin et de l'ordination. C'est uniquement de la promesse de l'évêque et de cette espèce de quasi-contrat, passé, le jour de l'entrée au Séminaire, entre l'Evêque et le séminariste, que résultera pour le candidat, le droit à l'appel et à l'ordination ; droit qui ne sera jamais méconnu, droit sur lequel le bon séminariste peut se fonder en toute sincérité, pourvu qu'il demeure fidèle.

La première proposition sur la vocation sacerdotale : " neminem jus ullum unquam habere ad ordinationem antecedenter ad liberam electionem Episcopi ", nie, il est vrai, tout droit qui précéderait le choix de l'évêque et en serait indépendant, mais non les droits qui sont la conséquence de ce choix.

Or, dans l'état actuel de la discipline ecclésiastique, depuis la fondation des Séminaires, l'évêque commence à choisir les ordinands dès le jour où il les admet dans son Séminaire. Ce premier choix, tout conditionnel qu'il soit, crée cependant entre lui et les jeunes aspirants un commencement de lien juridique ; lien bien faible encore, mais qui ira se fortifiant de plus en plus à mesure que le sujet répondra de mieux en mieux aux espérances des premiers jours. Il y a donc là, nous le répétons, une sorte de quasi-contrat (1), en vertu duquel le bon élève ne peut plus être éconduit que pour défaut reconnu d'idonéité. Mais ce droit, on le voit, est bien différent du droit divin qui découlerait de la constation d'un appel d'En-Haut, si l'on admettait ces sortes d'appel. Il n'est que la conséquence du choix épiscopal, et il s'affermit à mesure que ce choix se précise par la collation des Ordres inférieurs, jusqu'au jour où il devient définitif par l'appel au sacerdoce même.

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(1) L'existence de quasi-contrat est affirmée par les Canonistes. Voir en particulier Maupied: éd. Migne, T. II, col. 1168.

 

562. — Le bon et le mauvais séminariste. Voilà donc une situation des plus claires. Aussi, le bon séminariste vit-il dans une paix parfaite ; il peut regarder l'avenir avec pleine confiance ; le sacerdoce est à lui. Le mauvais séminariste qui viole habituellement la règle, ou le séminariste douteux qui biaise souvent avec elle, sont remplis d'appréhension. La faute en est à eux seuls. Quand un retard d'ordination ou une sentence d'exclusion les atteignent, ils prétendent n'avoir pas été suffisamment prévenus. C'est une raison bien mauvaise. Le règlement qu'ils violaient sciemment était pour eux l'avertissement perpétuel, divin, qui eût dû suffire, si leur conscience avait été droite et loyale.

Le mauvais séminariste ne désire être averti que pour savoir quelles sont, de toutes ses fautes, celles que l'on connaît et celles que l'on ne connaît pas, afin de persévérer paisiblement en celles-ci, et de se cacher un peu mieux pour continuer celles-là.

Les Directeurs avisés se font un devoir d'avertir souvent, très souvent, ceux qui n'agissent que par légèreté ou faiblesse de caractère. A ceux-là les avis sont un vrai réconfort moral. Quant à ceux qui violent délibérément la règle, comme par principe, et qui, avertis une fois, deux fois, n'ont profité de la leçon que pour s'aigrir et se mieux cacher, il vaut mieux, en règle générale, qu'on les laisse se compromettre tout à fait. Leur mauvaise nature se révèle par cette obstination et c'est un devoir de les écarter du sacerdoce.

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EPILOGUE

 

Nous voici au terme de notre travail En. te commençant nous n'avions pas prévu qu'il nous amènerait à traiter sous toutes ses faces la question de la vocation sacerdotale ; mats la théorie ayant des contre-coups inévitables sur la pratique, force nous a été, après avoir exposé notre: thèse sur la vocation, de montrer comment elle trouvait son, application exacte et normale aussi bien dans le recrutement du sacerdoce que d'ans le régime des Séminaires.

La question qui domine tout l'ouvrage est celle-ci : étant donné que Dieu appelle au Sacerdoce, selon le mot de l'Apôtre : nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo, comment l'appel de Dieu est-il intimé à ceux qui en sont l'objet ?

Une opinion très répandue disait : L'appel de Dieu est .intimé au sujet par des aptitudes, des goûts, des attraits qui lui révèlent et révèlent à ceux dont il relève — parents, curés professeurs, confesseurs, etc. — qu'il est divinement marqué pour Te sacerdoce. L'appel est en lui, il n'y a qu'à savoir l'y découvrir ; c'est la tâche spéciale du Directeur de conscience. Les Directeurs de. .Séminaire, l'évêque lui-même n'auraient guère qu'à s'incliner devant cet appel constaté et ordonner celui que Dieu appelle en dehors d'eux.

A cette opinion nous avons opposé cette parole du Catéchisme de Trente "Vocari autem a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur".

L'appel divin arrive aux candidats en vertu de l'appel à eux adressé par les ministres légitimes de l'Eglise, par ceux qui ont juridiction au! fer- extérieur : le Pape et les Evêques.

Dans les candidats, préalablement à l'appel prononcé par les chefs de l'Eglise, la " vocatio " proprement dite n'existe point. Les aptitudes, les attraits ne sont pas rappel divin formel; mais de simples idonéités à le recevoir. On peut seulement les appeler vocation en puissance, au sens scolastique du mot.

Dès lors on aperçoit l'équivoque d'où sont nées toutes les confusions en cette matière. On appelait vocation, vocation proprement dite, vocation en; acte, ce qui n'était que vocabilité, vocation en puissance, aptitude à recevoir la vacation.

Pour dissiper l'équivoque, nous avons apporté des arguments de toutes sortes ; et dans Tes documents les plus authentiques de la théologie, nous avons constaté que du côté des sujets la vocation n'est qu'une pure et simple idonéitê, que la vocation proprement dite est intimée eut dehors par les ministres légitimes de l'Eglise.

Ensuite nous avons montré comment cette doctrine devait modifier bien des points de vue pratiques- au sujet du recrutement et de la bonne formation des aspirants au sacerdoce.

Le mot qui nous paraît résumer ce que cet ouvrage contient de plus important, nous l'avons répété à satiété ; on aura d'autant plus remarqué cette répétition fréquente qu'elle allait plus d'une fois contre les règles de la bonne littérature et finissait par fatiguer l'oreille.

Qu'on nous permette d'avouer avec candeur que nous avons agi bien intentionnellement, et que nous avions l'ambition d'introduire ce mot dans le langage courant en matière de vocation. Il a toutes sortes de titres à obtenir droit de cité parmi nous, car nous l'avons premièrement trouvé sous la plume de saint Paul qui le répète, lui aussi, chaque fois qu'il parle du recrutement des aspirants au sacerdoce ; nous l'avons trouvé ensuite dans le Concile de Trente et les documents pontificaux les plus récents. Il paraît être le mot sacramentel pour caractériser la vraie doctrine sur la vocation.

Ce mot, c'est : Idonéité.

Le candidat présente donc à l'évêque son idonéité et sollicite de lui, non pas une sentence simplement déclarative d'un appel antécédent, mais l'appel divin lui-même.

L'idonéité qu'il possède est préalablement requise pour l'octroi légitime de cet appel, mais elle ne le constitue nullement et n'y donne même aucun droit, ni officiel, ni privé.

C'est l'évêque qui appelle au nom de Dieu.

Par où l'on voit que la doctrine de la vocation sacerdotale repose véritablement sur ces deux paroles, qui servent d'épigraphe à cet ouvrage et doivent en donner la conclusion suprême.

Nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo tanquam Aaron (Hebr. V. 4).

Vocari autem a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur. (Cat. Conc. Trid. De Ordine).